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Stop à l’injonction de résilience

Dernière mise à jour : 20 mai


A l'origine, la résilience correspond à un phénomène physique qui décrit la capacité d'un matériau à retrouver sa forme initiale après un choc ou une déformation. Aujourd'hui, ce joli mot issu du latin resilire, "rebondir", est devenu une formule passe-partout des psychologues de comptoir et des donneurs de leçons.


D'un phénomène psychique complexe, résultat de nombreux processus visant à apaiser la vulnérabilité liée à un traumatisme, la résilience est devenue la promesse d'un lendemain qui chante, si tant est qu'on s'en donne la peine. J'ai été licencié.e ou harcelée ? Je dois faire preuve de résilience pour recommencer un autre travail. J'ai été abandonné.e, trahie ? Je dois faire preuve de résilience pour me reconstruire en amour. Quel que soit ce qui nous a blessé, nous devenons coupables de ne pas rebondir assez vite, assez fort. On en arrive à cette aberration de patients qui s'autoflagellent chez leur psy parce qu'ils ne sont pas assez résilients...


Commencez par vous écouter

Bon, on va être honnête, les gens malheureux, c'est chiant. Ils ont tendance à casser l'ambiance, à monopoliser l'attention, à mettre tout le monde un peu mal à l'aise... Mais il se trouve que certaines fois, les gens malheureux, c'est nous. La résilience est la capacité à surmonter les chocs traumatiques, et on nous apprend que c'est une formidable qualité. D'ailleurs les gens acceptent que vous soyez malheureux, mais seulement à condition que ça ne dure pas trop longtemps ; ensuite, il faut être résilient. Vous devez très vite vous relever, être fort, combatif, parce que, « tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ». Faux. Tout ce qui ne nous tue pas peut aussi nous laisser éclopé et traumatisé, et certaines blessures ne sont ni résorbables, ni cicatrisables.


Mais, bien sûr, on ne va pas pourrir toutes les conversations avec nos histoires malheureuses. En revanche, on n'est pas obligé non plus de faire croire que tout va bien : la vie, ce n'est pas Instagram. Il n'y a pas de filtres dans la vraie vie, on n'est pas obligé d'être tout le temps positif, comme ces gens sur les réseaux sociaux. Il faut beaucoup de courage pour s'avouer que quelque chose ne va pas. Est-ce que je suis heureux ? Avec cette personne ? Dans ce boulot ? Dans cette vie ? Bien sûr, vous n'aurez peut-être pas la force de vous confronter à la réponse tout de suite, alors vous allez essayer de compenser, de trouver assez de bonheur ailleurs pour ne pas vous "mettre en faillite personnelle", mais la vérité, c'est que vous savez déjà si vous êtes heureux ou pas, si ce boulot est vraiment fait pour vous, si cette personne est vraiment faite pour vous...


On a le droit de se plaindre, c'est même plus que conseillé. Le chagrin, ça se partage, ça s'écoute, parce que si vous ne l'écoutez pas, votre chagrin trouvera toujours un moyen de revenir à la surface. Et oui, c'est une menace ! Votre corps trouvera aussi toujours un moyen de vous rappeler que ça ne va pas, alors, acceptez-le, ne vous débattez pas... Sachez une chose : le chagrin gagne toujours. Les chagrins sont nos compagnons de route, ils nous suivent tout au long de notre vie et grandissent avec nous. On passe du chagrin d'enfant, souvent consolable, aux chagrins d'adolescent, des blessures d'ego et d'idéaux, et enfin aux chagrins d'adulte, irrémédiables, aux deuils... Personne n'a le droit de minimiser votre chagrin. Nous ne sommes pas tous armés de la même façon pour affronter les problèmes, et ce n'est pas de notre faute. Votre histoire vous appartient, c'est vous qui décidez de la façon dont vous voulez la raconter, quand, et à qui. Mais rappelez-vous que minimiser les événements que vous avez vécus pour ménager les autres n'est jamais une bonne solution.


Pendant longtemps, je me suis coupée de mes émotions afin de tenter l'adaptation d'un monde pas fait pour moi : le monde des neurotypiques ; avec pour conséquence une déconnexion totale de moi-même ! Spectatrice de ma propre vie (ne plus savoir qui je suis, ce que j'aime, ce que je veux, où je veux aller), ce qui m'a conduit à des réactions impulsives, des explosions de colère, de crises d'angoisse ou de larme, de tristesse latente. Aujourd'hui, je reprends possession de mon intelligence émotionnelle car sachez que les personnes autistes non seulement ressentent des émotions mais aussi savent se connecter à leur ressenti. Leurs principaux problèmes sont une connexion plus difficile à leur ressenti et leur mode atypique de communication pour exprimer leurs émotions.


Vous êtes-vous déjà immiscé.e dans la vie d'une personne autiste en pensant que celle-ci s'enfonçait dans sa manière de réagir face aux situations qu'elle avait à vivre ? Pensiez-vous vraiment que vous seul pouviez savoir ce qui était bon pour elle, en lui imposant votre façon de gérer la situation ? En vous permettant de lui donner des leçons non réclamées, d'agir sans son consentement ou de prendre des décisions pour elle ? Si vous êtes parents, ce sont des réactions très légitimes envers vos enfants. Encore là, reste à savoir jusqu'où cette ingérence dans leur vie demeure acceptable. Souvent inconsciemment et en toute bienveillance, vous commencez à la diriger vers des actions selon les croyances et les valeurs neurotypiques que vous avez. Vous cherchez à imposer des normes qui ne conviennent pas à la réalité de l'autre, ce qui le conduira à vivre en désaccord avec lui-même. La maltraitance infantile et l'autisme vont souvent de pair lorsque l'enfant autiste est incompris.


Il faut seulement se rappeler que chaque personne est unique, qu'elle a une expérience à vivre qui lui appartient afin de faire les meilleurs apprentissages qui soient pour elle. Découvrir par soi-même peut paraître parfois cruel, mais c'est quand même enrichissant pour apprendre à se connaître et à ajuster ce qui est juste pour soi.


Vous n'êtes pas obligé.e d'être résilient.e

Popularisée en France par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, la notion de résilience est utilisée à tort et à travers ; devenant une injonction contre-productive. La psychologie positive est largement fondée sur le concept flou de résilience, c'est-à-dire, en gros, de la capacité à construire un vie bonne, réussie, quelles que soient les horreurs qu'on a subies et même en prenant appui sur elles. Dans de nombreux cas, dit la théorie, les succès affectifs, professionnels, sportifs ne seraient que la conséquence d'un combat engagé contre un malheur initial (deuil, humiliation, persécution, pauvreté, accident grave, handicap, etc.) dont tout laissait présager qu'il allait nous détruire. C'est en cherchant à surmonter ce malheur initial qu'on arriverait à la réussite, au bonheur. En ce sens, le malheur est utile, bénéfique.


Mais ces mots sont vagues et, même si on arrivait à leur donner un sens plus précis, nous ne saurions pas encore ce qu'il y a de bien dans la résilience ou pourquoi exactement il faudrait être résilient. Est-ce un simple moyen de préserver ou d'acquérir son bonheur, son bien-être ? Est-ce un devoir moral envers soi-même qu'il faut absolument respecter, quelles que soient les conséquences, c'est-à-dire même si cette dévotion n'apporte ni bonheur, ni bien-être ? Est-ce parce qu'être résilient est une qualité humaine admirable, une sorte de vertu ? Dans ce cas, il me semble que l'absence de réflexion critique affaiblit considérablement les plaidoyers en faveur de la promotion de ces supposées vertus. Au fond, la psychologie positive, dont la résilience est l'un des piliers, a un côté bêtement optimiste, répugnant aux yeux de tous ceux dont la vie est précaire, marquée par des échecs et des peines profondes. Elle tend à culpabiliser tous les défaitistes en pensée, tous ceux qui n'ont pas la force ou l'envie de surmonter leur désespoir. Et comme les réponses doloristes à nos interrogations existentielles, la psychologie positive peut servir à justifier la cruauté sociale qui continue de s'exercer contre les personnes dont la vie est rude.


La condition sociale des personnes qui reçoivent l'annonce d'un handicap (ou d'une maladie grave) semble jouer un rôle important dans la nature de ces réactions. Celles qui ont besoin de travailler durement et physiquement pour vivre ou simplement survivre auraient tendance à se focaliser sur les conséquences, qui peuvent être dramatiques, d'une longue cessation d'activité. Il est naturel qu'elles éprouvent de l'angoisse pour le futur. Pour celles dont l'activité est moins dépendante d'une bonne santé ou qui ont les moyens matériels de survivre sans travailler (ou en travaillant moins intensément), l'annonce n'a pas ce caractère dramatique. La seule inquiétude de la personne issue de classes moyennes ou aisées serait liée à la qualité de la vie qui lui restera à vivre et à la quantité de vie qui lui permettra ou non de réaliser ses projets personnels ou de jouir suffisamment de sa vie sociale ou familiale. Logiquement, la maladie ou le handicap est, pour les classes populaires, une menace matérielle, alors que, pour les classes moyennes et supérieures, elle serait plutôt perçue comme un obstacle au bonheur personnel.


Par ailleurs, pour les adultes autistes, l'annonce tardive du handicap peut provoquer un sentiment de libération à l'égard d'un tas d'obligations sociales étouffantes et induire un sentiment de soulagement qui pourrait s'apparenter à de la félicité. Ce handicap est alors vécu comme "libérateur" si la personne perçoit en lui l'occasion d'échapper à un rôle social qui étouffe son individualité. En ce sens, le handicap permet de trouver le vrai sens de la vie qui ne réside pas dans sa dimension sociale. Et pour les personnes autistes qui ont été diagnostiquées relativement jeunes, ce handicap n'entraîne pas de transformation radicale dans l'image qu'elles ont d'elles-mêmes. Celles-ci préservent leur identité sociale par leur lutte "contre leur autisme" et conservent un rôle socialement valorisé par leur détermination. Ce combat reste un élément central de leur vie, l'équivalent d'une activité professionnelle et la base d'une intégration sociale spécifique, mais persistante grâce à la charité interprétative. Ainsi, on lui trouve un sens moral ou psychologique : « Ce qui ne me tue pas me rend moralement ou psychologiquement plus fort, même si cela affaiblit considérablement mon corps. » Nietzsche.


Le problème, c'est qu'il est difficile de démontrer que cette interprétation est la bonne et encore plus difficile de prouver qu'elle est vraie. Le philosophe Ruwen Ogien, dans le récit qui raconte le cancer qui devait l'emporter (Cf. outils), exècre le symbole de cette nouvelle violence : la résilience a un côté bêtement optimiste, répugnant aux yeux de tous ceux dont la vie est précaire, marquée par des échecs et des peines profondes. Elle tend à culpabiliser tous les défaitistes en pensée, tous ceux qui n'ont pas la force ou l'envie de surmonter leur désespoir.


Tout n'est pas qu'une question de travail et de volonté mais une question de possibilité. La pensée positive est basée sur l'autosuggestion. La vérité est que la vie est ponctuée d'échecs, de regrets, de blessures et même de mort. Vous n'y pouvez rien. Vous n'êtes pas surpuissant.


Libérez-vous des injonctions sociales

Ce qui ne me tue pas détruit une part de soi et laisse inscrite une vulnérabilité que rien ne réparera. La résilience n'est pas une recette pour revivre comme avant le traumatisme ; elle est un ajustement créateur qui va permettre de continuer à vivre, différemment. Et ce chemin-là ne passe pas par la force de la volonté ou la puissance de la détermination, mais par la capacité d'adaptation et l'appui sur l'autre. A la suite de nombreux travaux de recherche depuis les années 1970, nous savons aujourd'hui que notre capacité de résilience est à moitié innée, à moitié acquise. Découverte autiste à 50 ans, partager mon expérience de vie autistique est un moyen de rester actrice de ma vie. Et sachez qu'imposer ses croyances et ses valeurs neurotypiques ne conviennent pas à la réalité de la personne autiste.


Sous couvert du concept de résilience, la tendance est de minimiser les conséquences de la violence qu'ont subie un certain nombre de personnes : « Elles s'en sont bien sorties, ça ne devait pas être si grave. » La résilience peut aussi être utilisée comme référence pour stigmatiser insidieusement celles et ceux qui en manqueraient : « T'as pas de raison de te plaindre, y a bien pire. » Il est Important d'avoir en tête que même une personne résiliente, donnant l'apparence de s'être adaptée à l'âge adulte, pourra avoir été traumatisée et subir encore des réminiscences traumatiques, souffrir encore de terreurs nocturnes, de peur de l'obscurité, de problèmes affectifs...


Qui que vous soyez, je vous invite à être moins exigeant.e avec vous-même et à vous libérer des injonctions qui vous pourrissent la vie ! N'oubliez jamais que ce n'est pas vous qui décidez ce que vous êtes, c'est votre histoire, votre éducation, vos blessures qui ont fait de vous ce que vous êtes.


Le mois prochain, je vous parlerai de l'interdépendance entre la maltraitance infantile et l'autisme, évoquée en amont.


Outils :

- Une vidéo engagée sur la nécessité de ne pas culpabiliser les victimes sur leur manière d’affronter un traumatisme, en cultivant l’empathie et la bienveillance : https://youtu.be/jRJgAI3tvg0?si=kX-Fob2DDaZsCjfv

- Un podcast d'Une place pour tous, sur le sujet de la "Résilience & Handicap" (en particulier dans le monde du travail) : https://youtu.be/BpDP5p9Jwpc?si=2T7-pFNJuQYoy7Me

- Un livre « Mes mille et une nuits, la maladie comme drame et comme comédie » de Ruwen Ogien qui nous aide à comprendre que la résilience n'est pas la panacée. https://www.albin-michel.fr/mes-mille-et-une-nuits-9782226395245

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