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Handicap, une vie sociale sous contraintes


Les effets du handicap sur la vie sociale ne sont pas identiques en toutes circonstances, à toutes les étapes de la vie et pour tous les individus. Le contexte, dans son acception large, est donc indispensable pour comprendre comment les effets du handicap peuvent être contre-carrés ou au contraire se cumuler et complexifier le quotidien des personnes concernées.

Etre porteur d’un handicap constitue un obstacle à la possibilité d’avoir des relations sociales. Une majorité de personnes en situation de handicap déclare que leur maladie ou leur handicap a des incidences négatives sur leurs sorties quotidiennes. Trois explications majeures ressortent des témoignages pour rendre compte de ce phénomène : la douleur, la fatigue et les difficultés de mobilité. Que ces symptômes se cumulent ou non, ils influent de manière directe sur les capacités à sortir, recevoir du monde chez soi, etc. Ils conduisent souvent à renoncer, au moins pour partie ou pour un temps, à la construction ou à l’entretien de la vie sociale, au gré des périodes de crise ou de répit, ce déficit de prévisibilité étant dommageable à l’organisation de la vie sociale.


L'évolution du handicap dans les cycles de vie

La part des personnes en prise avec des problèmes de santé ou des limitations de leurs capacités augmente avec l’âge : 35 % des 65 ans ou plus déclarent être porteurs d’une maladie/d’un handicap, contre 19 % des 18-24 ans. Les problèmes de santé ont une incidence variable selon qu’ils surviennent dès la naissance, à l’adolescence, à l’âge adulte ou tardivement. Selon les cas, les capacités de la construction d’une vie de famille, de réseaux amicaux, professionnels, etc. sont amoindries, ou plus tard leur solidité est menacée par la survenue du handicap.

Les conséquences du handicap sont notables sur les parcours scolaires puis professionnels, avec des répercussions sur la vie sociale. Les personnes handicapées sont moins diplômées que le reste de la population française et occupent moins souvent un emploi (48 % contre 60 %). Décrochage scolaire, arrêts de travail prolongés ou répétés, licenciement pour inaptitude, retraite anticipée pour invalidité, etc. sont autant de freins dans les trajectoires d’activité des personnes. Dans certaines situations, c’est un cercle vicieux qui s’installe. L'effet conjugué du manque de diplôme, la persistance des symptômes (douleur, fatigabilité), les périodes de chômage, constituent des barrières à l’accès à un emploi stable et à temps plein, avec des répercussions en cascade sur les niveaux de revenus des individus. Cette fragilité économique entraîne à son tour une réduction du potentiel de sociabilité.


La prise en charge du handicap (soins, démarches administratives) peut constituer un troisième temps de la vie, qui s’ajoute, pour les personnes concernées, à celui du travail et de la vie de famille, et qu’il faut réussir à articuler avec le reste. Dans certaines situations, toute l’énergie des personnes est mobilisée dans cette prise en charge, ne laissant plus de place à une vie sociale : « entre le travail, le handicap et les démarches de toutes sortes, je ne faisais rien faire d’autre, je rentrais chez moi. J'étais juste épuisée ». Dans d’autres cas néanmoins, le temps des soins peut constituer une occasion de dialoguer et de bénéficier d’un soutien moral. Les personnes isolées déclarant un handicap comptent plus sur les professionnels de santé que sur leur famille en cas de difficultés. Lorsqu’on sait que pour l’ensemble de la population, le réseau familial est au contraire le premier recours en cas de coup dur, cela met en évidence une professionnalisation du lien, qui n’est plus qu’un palliatif à une vie sociale en délitement. Les proches sont parfois les premiers sollicités pour apporter un soutien moral et une aide concrète dans la réalisation des actes de la vie quotidienne. Mais lorsque leur soutien vient à manquer, le sentiment de solitude peut s’en trouver renforcé. Encore faut-il accepter l’aide offerte : certaines personnes ne souhaitent pas faire appel à leurs proches, par crainte de trop peser sur eux. Parmi les proches, le conjoint occupe une place particulière. Dans certains cas, le fait d’être en couple vient atténuer le sentiment de solitude. A l’inverse, il existe un phénomène de repli sur la cellule familiale et un risque d’isolement du conjoint lorsqu’il se retrouve seul à accompagner la personne dans la prise en charge de son handicap, sans autre espace de socialisation ou de soutien possible.



Les ruptures dans les trajectoires de vie

Le handicap peut s’inscrire dans des trajectoires de vie marquées par une ou des séries de ruptures. Les cas de maltraitance durant l’enfance, des faits de violence conjugale, constituent des drames dans le parcours de vie qui contrarient les capacités à nouer des relations durables et de confiance. D’autres types de ruptures peuvent intervenir plus tardivement. Le décès d’un proche, un divorce, ou encore un déménagement provoquent aussi de facto un isolement dont les effets peuvent être démultipliés chez des personnes qui présentent déjà une sociabilité fragile. Les trajectoires de vie, la situation familiale ou d’emploi, la situation économique, la nature et l’ancienneté du handicap constituent autant de facteurs qui influent sur le vécu de la solitude.

La solitude subie concerne les personnes forcées de renoncer à une vie sociale depuis la déclaration de leur handicap. Elle concerne pour partie des personnes qui n’ont pas connu par le passé de vie sociale dense. C’est la nature de leur handicap (maladie psychique ou autisme, le plus souvent) qui les empêche de s’ouvrir aux autres en dépit de leur volonté : « depuis que j'ai rejoint un groupe de discussion entre personnes autistes, je me sens moins seule et enfin comprise, acceptée telle que je suis ». Trouver ses semblables, voilà bien l'une des choses les plus difficiles pour les autistes ! D’autres, plus âgés, ont connu par le passé une vie sociale jugée épanouissante avant d’être contraints d’y renoncer en raison de leur handicap. Avec la douleur, la fatigue ou encore les difficultés à se mouvoir, le handicap prend le dessus sur la vie sociale, en réduisant les occasions - parfois aussi le courage - de sortir, de voir du monde, etc. D'autres encore, sont des isolés en repli : les trajectoires de vie de ces personnes se caractérisent par une ou des séries de ruptures biographiques. Ces évènements sont venus contrarier les possibilités d’une construction sereine des rapports aux autres, avec le sentiment de ne pas être parti sur les bonnes bases. La déclaration du handicap constitue une épreuve supplémentaire dans ces parcours de vie. La solitude est une source de souffrance, face à laquelle ces personnes se retrouvent démunies, désemparées, faute de pouvoir (re)nouer le contact avec les autres.


Face à l’épreuve du handicap, certaines personnes ont souvent fait le constat amer d’un défaut de soutien de la part de leurs proches. C’est cette forme de désillusion qui les a amenés à prendre de la distance avec leur entourage : « j’ai coupé les ponts avec mes amis et ma famille. Quand vous avez besoin des gens, ils ne sont pas là à ce moment-là ». Il résulte de cette blessure une défiance à l’égard des autres, probablement par crainte de nouvelles déceptions. L’isolement est donc construit, dans le sens où il est pour partie créé ou du moins renforcé par la personne isolée elle-même.


Ce qui caractérise les personnes qui revendiquent leur solitude comme un choix de vie est le fait que la faiblesse des contacts sociaux apparaît comme une habitude de vie, que cette dernière soit ancienne ou récente. Le handicap vient ici renforcer un modèle de sociabilité plus ancien. Mais pour certaines, la survenue du handicap et de ses complications vient fragiliser, questionner ce choix. Avec l’âge, certaines personnes craignent que le handicap devienne compliqué à prendre en charge sans soutien régulier. Pour d’autres, le handicap est vu comme une stratégie d’évitement d’une vie sociale devenue trop envahissante compte tenu de l’état de santé : « à présent, je choisis mes moments de sociabilité, j’apprécie cette liberté et j’en ai besoin. La solitude, ça n’est pas négatif, sauf si ça n’est pas un choix, qu’on y est obligé ». Les arguments de la douleur, de la fatigue, du temps nécessaire à la prise en charge sont alors mobilisés pour limiter les contacts, ou choisir ses moments de sociabilité.


L’analyse des parcours de vie montre que les facteurs d’isolement sont multiples et fortement intriqués. Au-delà des actions permettant de compenser les obstacles - difficultés à accéder aux droits, aux infrastructures et services publics, aux lieux de loisirs et de sociabilité -, des actions sont à renforcer ou à initier.


Quelles solutions pour rompre la solitude ?

Le rapprochement entre les acteurs médicaux, les travailleurs sociaux et les acteurs du maintien dans l’emploi permettrait une meilleure adéquation de l’accompagnement et des solutions proposées aux besoins des personnes. Plus qu’un accompagnement, une médiation sous la forme d'une passerelle entre les personnes isolées et les lieux de sociabilité est nécessaire, notamment lorsque le cercle vicieux du repli sur soi est enclenché : « j'ai récemment rejoint une association qui me permet de rencontrer des gens et de pratiquer des activités physiques adaptées ». Le développement d’espaces de parole via les réseaux sociaux ou en face à face constitue sans doute une mesure propre à rompre la solitude de certains qui semblent plus à même d’échanger avec des personnes partageant une expérience proche de la leur. Outre les contacts physiques, l’usage du numérique constitue une possibilité de garder un lien avec ses proches. Le numérique constitue ainsi un substitut parfois satisfaisant aux contacts physiques. Il permet dans certains cas de nouer de nouveaux contacts, y compris sur le long terme, via des forums de discussions notamment. A l’inverse, le confort offert par cette pratique peut contribuer à enfermer ces personnes dans leur domicile. L’investissement des espaces de soins ouvrant la possibilité d’une socialisation entre patients en constitue un exemple particulier.


Enfin, au-delà des actions visant à aider les personnes handicapées à compenser leurs difficultés, ce sont des actions de sensibilisation propres à développer une meilleure compréhension des situations de handicap et de leurs incidences dans la vie quotidienne qu’il faut développer. Loin de la figure de la personne en fauteuil roulant ou marchant avec une canne blanche, les manifestations du handicap peuvent ne pas être visibles. Ainsi, 8 personnes sur 10 déclarant une maladie/un handicap indiquent que cette situation n’est pas visible.

Outils :

- De la compensation, faute d'accessibilité, Jean-Yves Le Capitaine (2024)

- Comment vaincre la solitude et l'isolement ?, podcast France-Inter (2023)


Pour conclure

Le "modèle social du handicap" questionne la société sur l'intégration complète de tous les individus dans la société. Le handicap n'est pas un attribut de la personne, mais plutôt un ensemble complexe de situations, dont bon nombre sont créées par l'environnement social. Ainsi la solution au problème exige-t-elle que des mesures soient prises en termes d'action sociale, et c'est la responsabilité collective de la société dans son ensemble que d'apporter les changements environnementaux nécessaires pour permettre aux personnes handicapées de participer pleinement à tous les aspects de la vie sociale.

La question est donc de l'ordre des attitudes ou de l'idéologie ; elle nécessite un changement social, ce qui, au niveau politique, se traduit en termes de droits de la personne humaine.


A noter

Le Collectif d'entraide autisme 44 : notre association auto-représentée, organise des cafés-rencontres et des ateliers d'entraide à Nantes. N'hésitez pas à consulter notre page Facebook pour connaitre les prochaines dates.



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