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Un autre regard sur l'autisme à l'âge adulte

Dernière mise à jour : 21 nov. 2022


Cette conférence était organisée par le Stras&ND (Centre excellence autisme et neurodéveloppement de Strasbourg) aussi bien en présentiel qu'en ligne, les 28 et 29 avril 2022. Vous trouverez ci-dessous un compte-rendu des deux premières interventions. Les replays de ces journées sont disponibles sur Youtube. Vous trouverez le lien en fin d'article.


1/ Manque de théorie de l’esprit et déficit de communication : des notions à déconstruire

Dans cette intervention, Julie Dachez , maîtresse de conférences en psychologie à l'INSHEA, présente les recherches d’autres personnes qui ont tendance à considérer la recherche et la médecine comme neutres mais ne sont pas des ilôts déconnectés du reste de la société. Les discriminations traversent aussi ces milieux, par les biais et les croyances inconscients des chercheurs. Les autistes peuvent-ils lire les émotions, expressions faciales et l’esprit des autres ? (théorie de l’esprit). On va communiquer une émotion correspondant à la représentation mentale des émotions, on matche avec son répertoire d’émotions. Et ça doit être réciproque pour communiquer. Ci-joint la présentation de 3 recherches américaines qui montrent que la relation à l'autre est différente chez une personne autiste ; « Différente, pas déficiente » (cf. Temple Grandin).


- Brewer et al., 2016 : les expressions émotionnelles autistiques sont moins bien reconnues que les expressions des non-autistes par les non autistes ET autistes => atypies émotionnelles idiosyncratiques (pas universelles au sein des personnes autistes, différence au sein même des personnes autistes). Comme les non-autistes ont du mal à lire les émotions des personnes autistes, cela peut créer une barrière de leur côté à l’interaction. L'impact est donc négatif pour les relations sociales entre autistes et non autistes.

- Sheppard et al 2018 : les participants doivent lire les émotions et comportements des autistes. Difficultés à interpréter les expressions faciales et donc les états mentaux des personnes autistes, description du comportement similaire des personnes autistes (sauf états internes), ça ne s’explique pas par l’inexpressivité des autistes. Durant cette recherche, il est demandé de deviner une émotion que la personne réagissait à partir de 4 scénarios. Ils ont décrit à partir d’état internes (pas bonne humeur/ronchon), pas simple donc ils ont spéculé, ils ont eu beaucoup plus de difficultés.

- Edey et al., 2016 : mimer la séduction, la moquerie, la cajolerie ou la surprise à l’aide de deux triangles + d’autres personnes devaient identifier les états mentaux de l’animation produite. Mouvements plus saccadés pour personnes autistes. Les non-autistes identifient mieux ces états mentaux pour les productions des non-autistes comparativement à ceux des autistes. Les autistes identifient aussi bien les deux : car les autistes ont passé pas mal de temps à décrypter les mouvements des non-autistes. Les non autistes identifient mieux les états mentaux de l’animation produite par les non autistes, et ils ne sont pas adaptés aux autistes car ils n’en côtoient pas assez. La difficulté à interpréter les autistes nuit aux interactions. Il y a quelque chose qui se passe du côté des non-autistes.


Le problème de la double empathie : la communication est mutuelle et relationnelle, compréhension du monde différente et vont avoir du mal à se comprendre. Il y a un décalage de communication entre personnes non-autistes et autistes, lié à la relation à l’autre.

- Milton, 2012 : double empathy problem ou considérer la communication dans le cadre d’une mutualité, et les difficultés de communication comme étant le fruit d’un décalage entre autistes et non autistes, plutôt que comme un attribut de la personne autiste. Deux personnes avec une expérience de vie différente ont du mal à se comprendre. C'est le cas aussi entre personne autiste et personne non-autiste. Plutôt que de dire que le problème de communication est intrinsèque à la personne autiste, est peut-être plutôt lié à la relation à l’autre.

- Sasson (chercheur autiste) et al., 2017 : premières impressions que les non-autistes développent en quelques secondes sur une personne. Impressions des non-autistes aux non autistes : plus jugés négativement, prosodie, posture, expression faciale perçus moins positivement et ne veulent pas poursuivre interaction. Il y a donc de nombreuses barrières des allistes, réticence à interagir, jugements, interprétation états mentaux et émotions.

Concernant la théorie de l'esprit : deviner ce que les personnes ont besoin et deviner par contexte + états mentaux ce que la personne veut. Capacité qui serait acquise avant l’âge de 5 ans. Il y a de la recherche sur le déficit de théorie de l'esprit des autistes mais remis en question, ce n’est pas solide !

- Test de Sally et Anne (Wimmer & Perner, 1983) repris pour tester la théorie de l’esprit chez les personnes autistes (Baron-Cohen et al., 1985) et les enfants autistes ont échoué majoritairement au test par rapport aux non-autistes. Depuis une trentaine d’années, ces nombreuses recherches sur ce sujet (dont Baron-Cohen) sont remises en question par des personnes autistes.

- Gernsbacher & Yergeau, 2019 : les preuves empiriques permettant d’affirmer que les personnes autistes manquent de théorie de l’esprit ne sont pas aussi solides que cela. La spécificité n’existe pas, plusieurs handicaps et des statuts écos divers montrent aussi un déficit de théorie de l’esprit, ce n’est pas spécifique à l’autisme. Des autistes réussissent la théorie de l’esprit et ça s’appuie sur le langage parlé. (Yergeau 2018). La maitrise du vocabulaire compte plus que le diagnostic d’autisme. L’universalité s’effondre aussi, car chez les personnes autistes certaines réussissent ces tests. Autre tâche-test : reconnaître des émotions au travers de la photo de paires d’yeux en noir et blanc. Souvent utilisée dans les diagnostics d’autisme alors que cela ne fait pas partie des outils de diagnostic.

La reproductibilité s’effondre également : validité convergente, si faire passer plusieurs tests de théorie de l’esprit, les résultats sont-ils convergents. Les études montrent que ces tests ne sont pas corrélés. Validité prédictive : d’après étude, les résultats de théorie de l’esprit ne prédisent pas des fonctions sociaux-émotionnelles (attention sociale), la performance à ces tâches ne prédisent pas la coopération, traits autistiques ou attention…


Pas de recherche non plus sur les sujets autistes non verbaux/non oralisant : placer en difficulté et ne pas comprendre, communiquer est différent de parler (vidéo de Mel Baggs : in my language). Pas d’outil concernant les adultes n'est validé, que chez l’enfant. Il a fallu faire un consensus pour voir ce qui se rapprochait le plus. Lors de l'écriture du manuel de diagnostic de la HAS, le groupe expert reconnaît qu’il n’existait pas d’outil élaboré pour faire un diagnostic chez les personnes adultes et ont dû trouver un consensus sur ce qui existait chez l’enfant et ce qu’on pouvait faire pour l’adulte.

Enfin, Julie Dachez insiste pour inclure des personnes autistes dans les équipes de chercheurs, c’est le principe de la recherche participative (de la conception à la publication de l’article). Il y en a encore assez peu. Il est important de payer les personnes autistes qui y participent pour que ça ne devienne pas une exploitation des compétences des personnes autistes.


2/ Diagnostic tardif : vécus et conséquences

L'intervention de Raven Bureau, doctorant en psychologie porte sur le diagnostic d'autisme à l'âge adulte. Le chemin jusqu’au diagnostic peut être long et semé d'embûches car le fait de se sentir en décalage et être bizarre (véhiculé par les médias, par l'entourage ou les professionnels), favorise plus à aller vers des consultations pour un souci mental. La moitié des personnes en questionnement (familles et autistes) n’a pas les informations et ne savent pas où se faire diagnostiquer par manque de services de proximité. Le diagnostic à l’âge adulte est encore un parcours du combattant et demande beaucoup de temps. En 2022, non seulement il est toujours aussi difficile pour un adulte autiste de recevoir un diagnostic de TSA, mais aussi un accompagnement digne de ce nom.


Dans un premier temps, obtenir un diagnostic à l'âge adulte est véhiculé négativement par les représentations sociales des professionnels avec un discours comme obtenir un « diagnostic à la mode » qui va entraîner une peur de parler de ses questionnements. Les diagnostics précédents (HPI, TDA/H, troubles anxieux, troubles de l’attachement et de l’humeur, etc.), parfois erronés, empêchent de repérer les caractéristiques autistiques. Mais aussi, les personnes elles-mêmes et leur entourage qui ont un regard erroné sur l'autisme et ne se reconnaissent pas être dans le spectre (petit garçon, très handicapé ou avec des capacités extraordinaires…) empêchent de faire la démarche de diagnostic. Les mécanismes de compensation, dont on a plus ou moins conscience (camouflage, intellectualisation du monde, apprentissage par essai/erreur explicite, etc.) vont retarder encore plus l’accès au diagnostic.

D'autres obstacles soulignent que 60-70% des adultes ne reçoivent pas de diagnostic :

  • Biais de genre : femmes diagnostiquées plus tardivement que les hommes (Huang et al., 2021 ; Russel et al., 2021)

  • Accès aux soins : certaines caractéristiques autistiques rendent plus difficiles l’accès aux diagnostics : téléphone, déplacement, contact physique, démarches complexes… (Dern & Sappok, 2017)

  • Saturation des services : le temps moyen d’attente en 2016 a été évalué à 446 jours, mais très dépendant des régions. Pour l'association Asperansa : de 1 an et plus voire même 3 ans. A un moment à Brest : 5 ans d’attente.

  • Manque de formation des professionnels : au moins 90% des études le relèvent et moins de 10% des démarches diagnostiques sont à l'initiative des professionnels de santé (enquête Asperansa, 2018).

  • Particularité française : une conception psychanalytique de l’autisme toujours présente (Briggs, 2020 ; Bishop & Swendsen, 2021). Il y a de nouvelles formations certes, mais de nombreux professionnels ont été formés selon les anciennes conceptions.

Dans un second temps, recevoir le diagnostic de TSA est associé au fonctionnement cérébral et à la construction identitaire de la personne (Hassali, 2020) et a un impact important sur l’image de soi (self-concept) et sur l’identité sociale (O’Connor et al., 2018). Le diagnostic est posé par un psychiatre, ce qui peut entrainer une dépossession de la capacité d'agir, changement de statut (Hassali, 2020). On est moins considéré comme pouvant prendre des décisions pour soi-même. On se sent passer de « personne qui s’est battue » à « un patient pris en charge dont les mots sont influencés par l’autisme et donc moins valables ». Le diagnostic de TSA est associé aux représentations sociales négatives et aux notions de psychiatrie, de handicap (adaptations vues comme coûteuses, laborieuses). Concernant l'accompagnement : rien proposé après le diagnostic. 67% des personnes autistes n'ont pas eu de recommandation ou d'information après le diagnostic (Scatonni et al., 2021), contrairement aux recommandations de bonnes pratiques de la HAS. 30% sont redirigées vers un Groupe d'entraide mutuelle (GEM TSA ) avec un sentiment d’abandon (de Broize, 2021). Les interventions fondées sur les preuves à l’intention des adultes autistes manquent largement (Benevides et al, 2020).


Enfin, digérer le diagnostic de TSA n'est pas à la portée de tous. La confirmation ou la validation obtenue par le diagnostic entraine souvent un phénomène appelé « Cohérence biographique ». La relecture de sa vie avec cette information, qui donne du sens (Tan, 2018), offre une meilleure compréhension de son fonctionnement personnel mais également d’un certain nombre d’événements de la vie à la lumière de cette information.De nombreuses données qualitatives décrivent un panel d’émotions contrastées à l’issue de la procédure diagnostique : le soulagement, le regret, la remise en question de choix de vie, l’affirmation de vie, l’affirmation de soi, l’exploitation d’un sentiment d’appartenance par la fréquentation de lieux spécifiques mais aussi un sentiment d’être définitivement mis à l’écart de la société (Punshon et al, 2009, Mclead et al, 2014, Lewis 2016, Stagg et Belsher, 2019, Batha et Frost, 2020). Parler de son autisme est souvent rapproché à l’expérience d'un coming-out (Murray, 2006 ; Smith et al., 2020). Les personnes autistes décrivent appréhender des réactions négatives, avoir peur de ne pas être soutenues, le remise en question de leurs difficultés (Davidson & Henderson, 2010). En face, les personnes non-autistes ont tendance à évaluer la révélation d’un diagnostic comme positive, surtout lorsqu’elle est accompagnée d’informations (Thompson-Hodgetts et al, 2020). Cependant, le point d'information des non-autistes est sur les épaules des autistes ! Le public autiste à ce webinaire soulève donc l’idée d’avoir des ressources à donner aux non-autistes pour expliquer leurs fonctionnements.

Pour conclure, ma conclusion Cette matinée, cumulée à une grande fatigue, fut intense. Si bien, non seulement ma participation en ligne a eu lieu uniquement sur la première journée, mais aussi la prise de note a été faite que sur les deux premières interventions. Ces deux interventions ont d'ailleurs été menées par des personnes autistes (donc des interventions factuelles, tout ce que j'aime) et concentrées sur les recherches internationales plus pertinentes que celles françaises qui ont suivi lors des échanges à cette conférence.

J'ai été aussi déçue de ne pas obtenir autant que j'en attendais. Je trouve que les conférences sur l'autisme par les instances qui sont sous couvert du Secrétariat d'Etat au Handicap se suivent et se ressemblent. Si elles répondent à un besoin des professionnels à mieux connaître le spectre autistique autrement que sur l'unique aspect psychanalytique, elles ne visent en rien à améliorer le quotidien des personnes autistes autrement que par de la psycho-éducation censée les normaliser.


Si bien que le sentiment d'être un imposteur, assez répandu parmi les autistes diagnostiqués tardivement, n'est pas prêt de s'atténuer. Les autistes ont des choses à dire et à partager pour que leur quotidien s'améliore. J'estime que des partenariats (avec rémunération) entre des autistes avec le monde médical, amélioreraient l'accès aux diagnostics et aux prises en charge. Cela serait bien d'en parler plus souvent lors de ce type de conférence...


Les replays de ces journées sont disponibles sur YouTube, vous pouvez les consulter via ce lien :

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