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Violences sexuelles et handicap : un sujet tabou

Dernière mise à jour : 5 janv. 2023


Les auteurs des violences sexistes et sexuelles sont essentiellement des hommes et les victimes sont les femmes. Etre femme et être en situation de handicap, c'est subir, entre autres, des oppressions validistes et sexistes, subtilement tissées entre elles.


Les femmes handicapées font l’objet, au plus haut degré, des formes de domination qui s’exercent sur toutes les femmes : infériorisation et infantilisation, contrôle du corps et des comportements, discriminations sexistes, privation d’accès à des droits égaux, violences sexistes, y compris sexuelles, qu’elles soient privées, institutionnelles, médicales, ou économiques. Il est important de ne pas oublier des publics trop souvent invisibilisés dans le débat public et politique, comme les femmes en situation de handicap, particulièrement celles qui sont autistes.

Violences sexuelles sur les personnes en situation de handicap

  • 1 enfant sur 10 en aurait déjà subi

Les enfants en situation de handicap ont près de trois fois plus de risques d'être victimes de violences sexuelles que les enfants dans leur ensemble. Les enfants handicapés en lien avec une maladie mentale ou des déficiences intellectuelles sont les plus vulnérables, avec un risque 4,6 fois plus élevé de subir des violences sexuelles par rapport à ceux qui ne sont pas en situation de handicap.

Les filles risquent par ailleurs davantage de subir des violences sexuelles que les garçons. Les violences sexuelles font l'objet d'un tabou sociétal encore très prégnant, a fortiori quand elles sont commises sur des enfants et des personnes en situation de handicap.

  • 4 femmes handicapées sur 5 sont concernées

Les violences sexuelles à l'encontre des femmes en situation de handicap sont un sujet tabou, dont on parle très peu. Elles sont pourtant, à tout âge, significativement plus harcelées et touchées par des violences et abus psychologiques, sexuels, financiers mais aussi des menaces, de la maltraitance et de la négligence de la part de leur entourage (partenaire, famille, personnel soignant, d’institutions ou de services à domicile).

On pourrait penser que les femmes en situation de handicap sont plus protégées et pourtant, c'est tout le contraire. Les femmes handicapées, qu'il s'agisse d'un handicap physique ou psychique, sont plus vulnérables que les autres. Et cette vulnérabilité les expose et en fait des proies faciles, comme une double peine. Il existe aussi des handicaps plus complexes, comme l'autisme. Une des caractéristiques de l'autisme, c'est de ne pas comprendre l'implicite, les sous-entendus, de ne pas percevoir les mauvaises intentions, et du coup de ne pas se méfier, de ne pas voir le danger dans une situation et d'avoir en plus du mal à s'exprimer pour dire non. Selon une enquête publiée en janvier 2019, 88 % des femmes autistes de haut niveau déclarent avoir subi des violences sexuelles au cours de leur vie. Le handicap engendre donc des formes spécifiques de violence liées au statut de « vulnérabilité ».


Les violences sexuelles sont des actes cruels et dégradants, qui n'ont rien à voir avec un quelconque désir sexuel. Etre en situation de handicap est un facteur de risque de subir de telles violences. Ces violences sont encore loin d’être (re)connues. Cela engendre une forte sous-estimation de la gravité du phénomène, permettant aux situations d’abus de se multiplier et réduisant la probabilité des poursuites et condamnations des agresseurs.


Lieux et contextes de ces agressions

Les violences sexuelles à l'encontre des personnes en situation de handicap ont d'abord lieu dans la famille et dans l'entourage proche. En premier lieu, l'agresseur est le mari, le conjoint ou l'ex. De nombreuses femmes en situation de handicap sont victimes de viol conjugal. Près de 35 % des femmes en situation de handicap subissent des violences physiques ou sexuelles de la part de leur partenaire, contre 19 % dites valides.


Ces femmes sont également victimes d'agressions sexuelles dans les institutions spécialisées qui les accueillent, comme les IME (Instituts médico-éducatifs), les ESAT (Établissements et services d'aide par le travail) ou des personnes intervenant dans la prise en charge, l'accompagnement et le transport de ces personnes. Dans les établissements d'hébergement et de soins, les agresseurs peuvent être d'autres résidents ayant des niveaux moindres de handicap. Cette différence favorise la reproduction entre eux de relations de type dominant/dominé.


Des soignants et d'autres personnels intervenant dans la prise en charge de ces personnes peuvent également être des agresseurs. Cela illustre la stratégie de ces prédateurs qui est de s'insérer dans des milieux où des personnes vulnérables et discriminées sont à leur disposition. Ces violences font actuellement l'objet d'une omerta presque totale.

Le fait que les agresseurs soient souvent les aidants complexifie la libération de la parole. Il est très compliqué de parler et de porter plainte quand on est victime d'agression sexuelle. Mais pour ces femmes, cela est encore plus compliqué. Le handicap lui-même peut empêcher la libération de la parole. Pour ces femmes vulnérables, il est extrêmement difficile de parler, car ce sont les personnes censées prendre soin d'elles qui très souvent deviennent leur bourreau.


Quand il s'agit du conjoint, la dépendance économique empêche aussi de parler. La plupart des femmes en situation de handicap ne travaillent pas et certaines touchent l'Allocation aux adultes handicapés (AAH). Il est très difficile pour une personne autiste de percevoir cette compensation du handicap, car leur autisme est souvent camouflé, pas diagnostiqué et donc invisibilisé. De plus, le montant de cette AAH, dont le montant maximal est de 956,65 euros par mois, est fonction du revenu du foyer. Si le mari gagne bien sa vie, l'allocation est moins importante voire inexistante. En octobre 2023, il est prévu la désolidarisation des revenus du conjoint pour le paiement de l'AAH. Cette individualisation de l'AAH va-t-elle permettre à des femmes de fuir leurs maris violents ?


En France, près de 90 % des femmes avec un trouble du spectre de l'autisme (TSA) subissent des violences sexuelles, dont 47 % avant 14 ans. Il s'agit d'une réalité peu connue, même des professionnels de santé les prenant en charge. Les personnes autistes, quelles que soient leurs capacités cognitives, ont des difficultés pour percevoir et décoder les émotions et les intentions des autres. Elles ne comprennent pas toujours les sous-entendus, l'implicite ni, plus généralement, les codes sociaux. Elles ont du mal à communiquer avec les autres. Cela n'a rien à voir avec leur niveau d'intelligence. Un prédateur prendra toutefois facilement conscience des difficultés spécifiques des personnes autistes et pourra les exploiter à son profit.


Le fait que la société considère les personnes en situation de handicap, et particulièrement les personnes autistes, comme ayant moins de valeur facilite le passage à l'acte des agresseurs, qui savent pertinemment qu'elles sont rarement écoutées. Ce que la société renvoie aux personnes en situation de handicap, et aux femmes en particulier, a également des conséquences sur le comportement de ces dernières. Elles sont encore plus faciles que d'autres à manipuler et à culpabiliser, ce qui facilite la mise en place d'une emprise par des partenaires souhaitant se placer en position dominante pour éprouver un sentiment de toute-puissance. La mise sous emprise est d'autant plus facile que les personnes en situation de handicap sont fréquemment en état de dépendance physique, émotionnelle, économique et financière.



Troubles psychotraumatiques induits et lieux de prise en charge quasi-inexistants

Toutes les violences sont à combattre mais toutes les violences n'entraînent pas forcément de mémoire traumatique. Les violences qui génèrent le plus de troubles psychotraumatiques sont bien sûr les plus destructrices, que ce soit par leur potentiel d’atteinte physique ou par leur potentiel d’atteinte psychique. Le plus souvent les deux atteintes physiques et psychiques sont intriquées, mais l'atteinte psychique est toujours présente et elle est au cœur des mécanismes psychotraumatiques. Cette atteinte psychique est centrée par la mémoire traumatique, d’autant plus grave que les violences ont un caractère incohérent et impensable, la victime étant instrumentalisée pour jouer un rôle dans un scénario monté par l’agresseur et qui ne la concerne pas. Une fois la mémoire traumatique installée, la façon dont la victime traumatisée va être secourue, entourée, prise en charge, reconnue et comprise sera essentielle pour le pronostic. Une victime abandonnée va devoir se débattre sans fin avec des symptômes psychotraumatiques et des risques d'être à nouveau victime, alors qu'une victime secourue et bien entourée aura toutes les chances de voir sa mémoire traumatique se désamorcer rapidement et être réintégrée en une mémoire autobiographique normale.


Si des associations de répit et d'accompagnement, comme Citad'elles à Nantes, ont le mérite d'exister, très peu de femmes en situation de handicap osent aller à leur rencontre. Si le 3919 (pour signaler une violence sexiste et sexuelle) ou le 3977 (contre la maltraitance des personnes âgées ou handicapées) existent, trop peu de personnes handicapées appellent ces lignes pour différentes raisons, comme la peur de dénoncer ou la difficulté à s'exprimer. Il y a donc un vrai problème pour repérer les femmes victimes d'agressions. Et quand on arrive à les repérer, un autre problème se présente : il y a peu de places dans les centres d'hébergement d'urgence pour les femmes victimes de violences et encore moins de places accessibles aux personnes en situation de handicap. Or, il est essentiel que ces femmes puissent parler, s'exprimer, pour être prises en charge physiquement et psychologiquement.


Il faut questionner la victime présumée, son entourage, ainsi que les professionnels qui l'entourent pour établir si cette personne a subi des violences. Il est alors obligatoire de signaler les faits et de protéger la victime, et impératif de la faire bénéficier d'une prise en charge adaptée par des professionnels spécialisés, par exemple dans un centre de psychotrauma. Il faut aussi protéger tous les autres pensionnaires de l'agresseur si cela s'est produit dans un établissement d'hébergement et de soins. Il est obligatoire de signaler les faits à la fois aux niveaux judiciaires et administratifs. Il faut aussi prévenir les autres membres du personnel pour qu'ils s'assurent qu'aucun autre pensionnaire n'a subi de violences. Il est également essentiel de prévenir les proches de la personne concernée pour qu'elles l'entourent au mieux et puissent faire les meilleurs choix pour l'accompagner.


Toutes ces mesures sont essentielles. Les antécédents de signalements et de condamnations de toutes les personnes en contact avec des résidents devraient être connus (personnel, visiteurs, autres résidents, etc.). Il faut protéger et accompagner les victimes, à la fois au niveau médical et judiciaire, et isoler les agresseurs quand ce sont des résidents. Il faut d'ailleurs éviter de faire cohabiter dans un même établissement des enfants et des adultes en situation de handicap, les seconds pouvant alors agresser les premiers.


La loi prévoit que les professionnels en lien avec des personnes en situation de handicap soient formés à la question des violences sexuelles. Ces professionnels ont aussi l'obligation de sensibiliser les personnes en situation de handicap et leurs familles à ce sujet. Les établissements doivent pour leur part transmettre systématiquement les fiches d'événements indésirables, d'autant plus quand ces signalements portent sur des membres de leur personnel, ce qui n'est pas fait systématiquement.


La société dans son ensemble doit cesser de détourner le regard et penser à des systèmes de protection adaptés pour préserver les personnes en situation de handicap des violences sexuelles.


A lire :


Une question de santé publique

Les violences sexuelles ne sont pas une fatalité et doivent être combattues. Elles sont rendues possibles par les inégalités et les discriminations qui doivent donc être également combattues, qu'elles soient sexistes, racistes, liées à la pauvreté, à l'âge, à la maladie, aux handicaps, et aux orientations religieuses, politiques, sexuelles. Un monde juste et fraternel, qui dénoncerait les violences et lutterait contre elles, protégerait les victimes, et mettrait en place une réelle égalité des droits, pourrait exister en observant les textes de Loi. Les lois évoquées ici peuvent être consultées sur www.legifrance.gouv.fr.


L’ONU et l’OMS ont également reconnu clairement que ces violences étaient intentionnelles, qu'elles représentaient une atteinte grave aux droits et à la dignité des personnes, et qu'elles étaient à l'origine d'atteintes à leur intégrité psychique et physique. Elles ont reconnu également la spécificité des violences faites aux femmes et aux filles, et les ont décrites comme des violences sexistes fondées sur la domination masculine et les inégalités de pouvoir entre les hommes et les femmes, et comme un marqueur du contrôle social des femmes. Les violences sont donc reconnues comme une question de droit et non une question d’intimité, de sexe, de couple, de famille, de coutume ou de culture, et les conséquences des violences sont une question de santé publique.

Pistes envisagées

Il existe des pistes à explorer :

  • Plus de prévention avec une meilleure formation de tous les professionnels, soignants, éducateurs, qui travaillent dans les établissements qui accueillent des personnes handicapées

  • Instaurer des consultations gynécologiques dans ces établissements afin d'avoir un lieu et un cadre propice à l'échange pour déceler d'éventuelles violences sexuelles

  • Revaloriser le montant de l'AAH, à minima sur le seuil de pauvreté, et ne plus le calculer en fonction du foyer pour casser la dépendance économique à l'égard du mari, du conjoint, afin de faciliter un départ du domicile si besoin

  • Construire plus de logements accessibles dans les centres d'accueil d'urgence

  • Développer, sur tout le territoire national, les structures comme Citad'elles, avec un accompagnement adapté au handicap de la victime

  • Mieux former les policiers et les gendarmes pour accueillir et recueillir les plaintes des femmes en situation de handicap

En savoir + Des associations qui agissent
  • FDFA lutte activement contre les discriminations et contre les violences faites aux femmes handicapées.

Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA) a inauguré en 2015 « Écoute violences femmes handicapées », le premier numéro d'écoute en France dédié à ce public (01 40 47 06 06). Ce dispositif est complété depuis novembre 2020 par un site (https://ecoute-violences-femmes-handicapees.fr) apportant de précieuses ressources.

  • AFFA a mis en ligne des outils de prévention pour faire de la prévention et lutter contre ces violences

Le handicap engendrerait un risque démultiplié de subir des violences sexuelles, selon l'AFFA (Association francophone de femmes autistes). Etre capable de les dépister, les signaler et les prévenir est donc l'objectif d'un module d'autoformation. Son credo : « Violences sexuelles et handicap - Briser l'omerta ». Disponible gratuitement en ligne (http://www.skillbar.fr/detox/han) et agréé par le Secrétariat de l'Enfance et de la Famille, il s'adresse aux proches de femmes et d'enfants en situation de handicap ainsi qu'aux professionnels. A travers plusieurs volets, qui comprennent la stratégie des agresseurs, la fréquence des violences sexuelles, les bonnes pratiques de dépistage, l'identification des symptômes et les obligations légales de signalement, et s'appuyant sur des témoignages de victimes, il promet un « scénario engageant, qui incite à passer à l'action ».


  • Droit Pluriel a lancé "Agir Handicap", une permanence juridique gratuite et accessible

Cette permanence dématérialisée de Droit Pluriel est un service d'information juridique « 100 % accessible » et gratuit. Il a été lancé en avril 2021 pour apporter des conseils aux personnes en situation de handicap pour qui l'information concernant leurs droits est « essentielle mais difficile à trouver ». Son réseau de 120 avocats a traité plus de 3 000 questions et assuré des permanences juridiques en langue des signes. Pour obtenir des réponses, il suffit d'envoyer un courriel à agir@droitpluriel.fr, soit de laisser un message au 09 80 80 01 49 ou déposer une vidéo LSF sur la plateforme dédiée (https://droitpluriel.fr/agir/).


Grand MERCI à ces 3 associations et bravo pour leurs engagements !

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