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Autisme : les habiletés sociales


Chacun reconnaît qu'il lui incombe de contribuer à l'échange social au rythme jugé approprié par le groupe et de faire son possible pour arranger les choses lorsqu'un problème se présente. Chaque participant a le choix de s'investir de manière plus ou moins active dans une interaction sociale. La société n'impose pas de règles immuables qui s'appliquent à tout le monde sans prendre en compte l'aspect unique de chaque échange social. Cependant, la condition autistique ne facilite pas l'interaction sociale, surtout quand on en arrive au point où il nous faut dire quelque chose, où la conversation est nécessaire pour que la relation puisse évoluer.


Quelques règles sociales

Il y a beaucoup d'habiletés sociales courantes qu'on est amené à utiliser tous les jours et dont les gens se servent afin de bien s'entendre avec les autres et s'intégrer au sein de la société ou d'un groupe social particulier. Voici quelques règles non écrites que l'expérience m'a enseignées concernant « l'intégration » :

  • L'apparence a manifestement autant, si ce n'est parfois plus d'importance, que la personnalité ou l'intelligence. Cela peut paraître injuste, mais il s'agit là d'un fait propre à l'interaction sociale qu'il convient d'accepter.

  • Les personnes polies et pleines d'entrain ont plus de facilité à se faire une place en société. Les gens sont attirés par les personnes enjouées. Si les gens heureux vous sentent déprimé, ils n'auront pas très envie de passer du temps en votre compagnie.

  • Les bonnes manières sont quelque chose d'essentiel. Elles ouvrent bien des portes en termes d'interaction sociale. Je n'insisterai jamais assez sur l'importance pour les parents et les enseignants de faire assimiler ces compétences sociales de base à l'enfant.

  • L'interaction sociale doit aller dans les deux sens, ce qui signifie que vous allez devoir vous ouvrir aux autres. Si vous voulez vous intégrer, il vous faudra parfois engager la conversation.

  • A l'école ou au travail, pensez à saluer vos camarades ou collègues au moins une fois par jour. Vous pouvez vous contenter d'un geste très simple, comme par exemple, regarder la personne dans les yeux (ou entre les deux yeux si cela vous est trop pénible) et dire : « Bonjour ! Comment ça va ? » ou simplement : « Salut ! ».

  • Essayez de discuter activement avec des gens chaque jour. Même s'il n'est pas nécessaire de devenir ami avec toutes ces personnes, il est indispensable que vous communiquiez avec elles si vous voulez qu'elles vous considèrent comme faisant partie intégrante du groupe.

  • Adoptez le comportement adéquat qui va permettre aux gens de vous voir tel que vous voulez qu'ils vous voient. Soyez sympathique s'il est dans votre intention de vous faire des amis. Montrez-vous coopératif si vous souhaitez que les autres le soient également.


Nous sommes les acteurs de la grande pièce de théâtre qu'est la vie. Mais gardez bien à l'esprit que l'un des metteurs en scène n'est autre que la société elle-même. Parfois, la société impose sa conception de la pièce et nous oblige non seulement à jouer tel rôle dans telle scène, mais aussi à l'interpréter d'une manière bien particulière. On ne peut pas toujours le jouer comme bon nous semble. Il y a des moments où le metteur en scène exige de nous que nous interprétions la scène d'une certaine façon. Nous sommes censés répéter le rôle qui nous a été attribué et apprendre à le jouer. Nous n'avons d'autre choix que de nous plier à ses directives même si nous ne sommes pas forcément d'accord ou si nous ne comprenons pas totalement ce qu'il attend de nous. Il s'agit d'une règle tacite qu'il ne faut pas hésiter à répéter : parfois, que cela nous plaise ou non, il faut simplement apprendre à jouer un rôle qui va favoriser notre intégration au sein d'un groupe. Tout ceci est très difficile pour beaucoup d'autistes de mon âge qui veulent rester seuls maîtres à bord, ce qui est bien évidemment impossible si l'on veut exister au sein d'une société et interagir avec les autres. C'est un effort collectif et il est indispensable de se soumettre aux règles du groupe.


L'art du bavardage

Mais pourquoi est-ce si important d'être capable de bavarder de tout et de rien avec les gens ? Pourquoi ne pas ignorer les préliminaires et passer directement aux choses sérieuses ? J'ai remarqué qu'il importait peu qu'on connaisse la personne depuis deux minutes ou deux ans ; un tel « ciment social » est précieux parce qu'il :

  • Permet à l'autre de se faire une opinion de nous. Le simple fait de rencontrer quelqu'un, de le regarder dans les yeux quand on lui parle, de sourire et de dire des choses comme : « Comment ça va ? », « J'aime beaucoup ce que tu portes », « Salut ! Tu as l'air en pleine forme ! » en dit long sur nous et montre que l'on est ouvert et accessible.

  • Aide à faire avancer l'interaction sociale avec tout individu. Le simple fait de dire, par exemple : « Qu'est-ce qu'elle te va bien cette cravate ! » revient à faire un compliment et c'est là une règle tacite des interactions sociales : la majorité des gens aiment recevoir des compliments. Les compliments permettent aussi à la conversation de bifurquer sur bien des sujets. Peut-être possédez-vous une cravate qui ressemble à celle de la personne que vous venez tout juste de rencontrer et cela peut donner lieu à une discussion. Peut-être qu'une déclaration de la sorte pourrait donner naissance à une discussion autour des cravates, ce qui peut très bien mener à d'autres sujets.

  • Donne lieu à des interactions plus naturelles, plus fluides et plus rythmées. D'une certaine manière, quelques mots échangés mettent les gens à l'aise et quand un sujet de conversation plus sérieux se présente (inviter quelqu'un à dîner, demander un service ou toute autre chose), cela n'a rien de forcé.

  • Montre que l'on s'intéresse. Souvenez-vous : il est bien plus attrayant - et l'impression que l'on fait est bien meilleure et plus durable - de se montrer intéressé que de tout faire pour se rendre intéressant.


Pendant des années, le silence (ou le « Je ne sais pas ») a été ma seule réaction dans les situations inconfortables. A cette époque, je me raccrochais à l'idée erronée que le silence n'était autre que cela - le néant, vide de sens. En dépit de tous mes efforts pour tenter de m'extraire de cette situation embarrassante en me réfugiant dans ma bulle, je dégageais toujours quelque chose de négatif que les personnes qui étaient avec moi ressentaient et relevaient systématiquement. Ce qui nous amène à une autre règle non écrite des interactions sociales : le silence est une forme de communication à part entière. Il est des moments et des endroits où il est inapproprié et d'autres où il est tout à fait acceptable. Le silence en dit long quand il est déplacé et l'adage selon lequel « le silence est d'or » n'est pas toujours vrai. Les personnes qui ont fait les frais de ma « froideur » ont fini par prendre leurs distances, non pas par indifférence ou manque de sensibilité, mais parce qu'elles ne savaient pas quoi faire d'autre. Peut-être n'avaient-elles aucune idée de ce qui se passait dans ma tête, mais elles étaient bel et bien conscientes que quelque chose ne tournait pas rond.


Et à toutes ces occasions, une règle tacite des relations sociales s'est imposée : personne ne recherche la compagnie de quelqu'un qui dégage de l'énergie négative. Chaque fois que j'agissais de la sorte, j'étais rayé de la liste. L'art du bavardage peut être un outil social très précieux, une véritable mine d'or regorgeant de formules toutes faites. Il permet de faire bonne impression dès le début, de jeter les bases d'une bel amitié ou en tous les cas d'une relation saine.


Ne pas importuner les autres

Comme pour les autres habiletés, il faut un certain temps pour maîtriser la communication lors d'une conversation sociale. C'est un processus graduel qui se développe avec l'âge ainsi qu'avec notre capacité d'analyse de la réalité qui nous entoure. Il est nécessaire d'endosser en tout temps l'uniforme de détective social afin de faire le point sur la situation, de prêter attention à ce que les autres disent (ou ne disent pas) et d'observer ce qui, dans les comportements, exaspère les gens. Charge à vous ensuite d'en tirer des leçons.


En ce qui me concerne, il m'a fallu des années d'entraînement avant de me sentir à l'aise dans mes interactions avec autrui et d'être en mesure de tenir une conversation sans insupporter mes interlocuteurs par mes propos et mes comportements. J'ai encore beaucoup à apprendre et il en va de même pour d'autres Aspies que je connais. Certains adultes autistes sont en quête d'une solution miracle qui leur permette de comprendre tout cela, mais il n'en existe aucune. C'est dans l'apprentissage permanent que réside la clé. Pour qu'une interaction sociale fonctionne, il est essentiel de savoir détecter si nos interlocuteurs en ont par-dessus la tête de nous écouter parler. S'il est dans votre intention d'attirer les autres plutôt que de les rebuter, voici quelques conseils qui vont vous permettre de mieux communiquer avec autrui. Il faut, d'après moi :

  • Avoir plusieurs centres d'intérêt. Plus vous en aurez et plus il vous sera facile de trouver des gens avec lesquels vous aurez des points communs.

  • Poser des questions. Car s'il y a une chose que les gens aiment faire, c'est parler d'eux dès qu'ils en ont l'occasion. Le fait de poser des questions à une personne montre qu'on s'intéresse à elle et à ce qu'elle a à dire. Mais attention : mieux vaut éviter d'en poser trop. Les questions permettent de stimuler la conversation et de faire savoir à son interlocuteur qu'on souhaite maintenir l'interaction. Si l'on pose trop de questions, notre comportement pourra être qualifié d'excessif.

  • Avoir recours aux petites phrases introductives. En d'autres termes, il ne faut pas hésiter à utiliser des phrases qui vont permettre de lancer la conversation et ainsi encourager l'interaction. Vous pouvez dire quelque chose comme : « C'est très intéressant. J'aimerais en savoir davantage. » Vous pouvez également paraphraser (sans répéter mot pour mot) ce que votre interlocuteur vous a dit.

  • S'intéresser aux autres est une grande qualité. Il n'est pas bon de se préoccuper que de soi et de ses propres intérêts alors qu'accorder du temps et de l'attention à l'autre et à ses intérêts est une très bonne chose. En vous intéressant aux autres, vous n'en êtes plus intéressant à leurs yeux.

  • Déchiffrer les expressions faciales et le langage corporel des autres permet de savoir si on les exaspère. C'est une compétence qu'il m'a fallu acquérir par moi-même ; cela ne s'est pas fait du jour au lendemain. Il s'agit d'une source importante d'informations et d'indices renvoyant à une situation bien précise : ces habiletés peuvent être apprises.


Il est nécessaire que les personnes autistes comprennent, dès le plus jeune âge, que certains comportements plus ou moins subtils insupportent les gens. Les signes permettant de voir que quelqu'un est excédé sont les mêmes d'un groupe social à l'autre, ce qui est une bonne chose pour ces personnes car il leur est ainsi plus facile d'atteindre cet objectif. Outils : Comment voir si on exaspère quelqu'un



Que l'on nous considère comme on est (né)

Cependant, avec le temps, les membres d'un groupe se mettent à apposer des étiquettes sur les autres membres du groupe en fonction du degré d'interaction sociale dont ils font preuve avec un ou plusieurs groupes bien spécifiques, mais aussi de la nature de leur implication. Ainsi, il y aura les personnes extrêmement sociables, les solitaires, les arrivistes, les reclus, les hommes à tout faire, les chefs de meute et les abeilles ouvrières ; tout dépendra de l'engagement social de chacun. Selon le code de déontologie et la moralité des membres du groupe, ces étiquettes sont perçues comme positives ou négatives.


Les neurotypiques nous accuse souvent de ne pas faire assez d'effort pour interagir avec les autres ou d'avoir un comportement rigide. Ils oublient que la plupart des personnes autistes souffrent de problèmes d'anxiété. Cela revêt une telle importance que tout ce qui importe est de ne pas être victime d'une crise de panique. Il y a aussi les personnes pour lesquelles la maîtrise de soi est constamment menacée par les accès de colère. Quand il faut se concentrer à longueur de journée pour éviter la crise de panique ou d'accès de colère ou quand la dépression qui nous ronge est si sévère, il ne nous reste que peu d'énergie pour les relations sociales. On ne peut rien faire d'autre et cela nous importe peu.


Souvent, la biologie est plus à blâmer que la psychologie. C'était vrai dans mon cas. Le jour où j'ai arrêté de prendre les antidépresseurs qui m'aidaient à contrôler une dépression, mes habiletés sociales se sont nettement améliorées, au même titre que ma capacité à voir les interactions sociales tout autour de moi. Mes étranges manies (j'avais pour habitude de me tordre les mains et de marcher totalement courbée) se sont elles aussi atténuées. Ainsi, je me faisais moins remarquer et la réaction des gens à mon égard était plus positive. La prise de médicaments relève d'un choix personnel. Ce n'est pas quelque chose que je préconise d'emblée, aussi bien pour les adultes que pour les enfants. Cependant, il est des adolescents et des adultes pour lesquels les médicaments sont d'une grande aide compte tenu de leur effet calmant, ce qui ne manque pas d'améliorer leur vie sociale.


Quelle que soit l'approche, il convient de prendre en considération l'esprit, le corps, l'humeur ou la personnalité de la personne ainsi que l'environnement dans lequel elle évolue, apprend et joue, s'il s'agit d'un enfant. Il y a des individus autistes de haut niveau ou Aspies qui n'ont absolument pas besoin de médicaments. Ils sont sereins et il est tout à fait possible de remédier à leurs besoins en matière d'apprentissage social grâce aux techniques de modification du comportement, à la thérapie cognitive ou à toute autre prise en charge socio-affective liée à l'autisme. Pour d'autres en revanche, l'anxiété et les problèmes sensoriels sont des éléments essentiels (dont les causes sont biologiques) à prendre en considération. Pourtant, ces besoins sont souvent négligés ou relégués au second plan par les techniques de modification du comportement ou les autres approches classiques. Tant que l'anxiété et les problèmes sensoriels ne seront pas pris en charge, la compréhension sociale, la maîtrise de soi et la réussite scolaire et professionnelle représentent des objectifs qui ont peu de chance d'être atteints.


Chacun est responsable de ses actes

L'objectif n'est pas de faire d'une personne autiste un être « normal » ou « typique », de faire d'elle ce qu'elle n'est pas (si nous faisions cela, nous serions entourés de tout un tas de gens dénués de tout intérêt). L'objectif n'est pas non plus de la transformer en un « caméléon social » au point de ne plus savoir qui elle est vraiment, et ainsi, de développer des problèmes de santé mentale. Mais, il s'agit bien de renforcer ses atouts et de lui apprendre à pallier ses difficultés.


Il est important que les neurotypiques se rendent compte que certains individus autistes n'auront probablement jamais accès à une compréhension intuitive du langage social ou même des comportements sociaux. Il y a peu de chances qu'ils adoptent un jour une approche des comportements appropriés ou non en public qui soit fondée sur le bon sens. Cela ne veut pas dire qu'ils ne ressentent pas d'émotions. C'est seulement qu'ils ne sont pas directement liés à l'interaction et demeurent un élément distinct. Pour nous, le fait de savoir faire la distinction entre les comportements à adopter et à proscrire en public ou de comprendre que les comportements des gens ne sont pas toujours en phase avec leurs émotions est une immense expérience sociale qui va nous permettre d'ajouter des informations pour mieux nous en sortir. Ce n'est pas une mauvaise chose ; il s'agit juste d'une approche différente pour aborder les relations sociales et comprendre comment réussir à les gérer. Et lorsque que l'on est autiste, il faut toute une vie pour apprendre les règles des relations sociales.


Mais les faits étant ce qu'ils sont, la règle non écrite qui est au cœur de cet article résonne sur l'idée que : à partir du moment où les gens (tous les gens) prennent part à une interaction sociale quelle qu'elle soit, ils sont responsables de leurs actes (et de leurs préjugés).


Le mois prochain, je vous parlerai de la colère. Cette émotion exprime la lutte constante que doivent déployer les personnes autistes pour s'adapter à un environnement non pensé pour elles. Je pense que pour une personne Aspie, elle est l'émotion la plus difficile à identifier et à contrôler.

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