La colère chez les personnes autistes
Dernière mise à jour : 24 mars
Les enfants passent par l'adolescence avant de devenir adultes. Lorsque les parents ne parviennent plus à « motiver » leur enfant à adopter le comportement souhaité au moyen de la discipline, les jeunes adultes peinent à contrôler leur comportement, qu'il soit bon ou mauvais. La faible estime de soi, tend à se rendre responsable de toutes les bévues sociales, mais aussi de toute la colère et le ressentiment que l'on peut avoir de soi. La colère peut facilement se transformer en un incendie puissant et incontrôlable, alimenté par les pensées illogiques, les attentes peu réalistes et les émotions parfois confuses de nombreux adolescents et adultes autistes.
Je pense qu'une des raisons pour lesquelles de plus en plus d'adultes autistes « se font remarquer » de nos jours est qu'ils sont furieux d'éprouver autant de difficultés quotidiennes dans leur vie. Leur colère est parfois dirigée contre eux-mêmes, ce qui peut se traduire par une dépression ou un repli sur soi. Dans d'autres cas, la colère peut être dirigée contre les autres. Cela se manifeste par un refus catégorique de se conformer aux règles de la société et/ou par un besoin de blâmer les parents, les enseignants voire la société tout entière pour leur intolérance envers ceux qui sont différents.
En matière d'interaction sociale, chacun s'accorde à dire que : la colère peut être une émotion extrêmement destructrice dans tous les aspects des relations sociales. Il s'agit sans doute de l'émotion la plus difficile à contrôler pour un Aspie. Enfant, je me mettais souvent en colère car je ne comprenais pas les comportements des adultes et notamment ceux de mon père (malade alcoolique). J'ai grandi dans la peur de ses colères et je ne veux pas que les autres me craignent. Ainsi, devant les gens, je me maîtrise davantage. Quand je me fâche devant les autres, il m'arrive d'élever la voix et de crier, mais je n'ai jamais recours à la violence. Si je perds mon sang-froid en public, ma colère n'est généralement pas dirigée vers une personne en particulier : si c'est une personne que je connais, alors je lui présente toutes mes excuses une fois calmée. Je sais qu'il est des contextes où je ne peux ni hausser le ton, ni hurler et dans ces cas précis, je me contente d'émettre un grognement ou alors je m'écrase. La façon dont je gère ma colère dépend généralement de la situation et de mon désir de la contrôler (à condition que je me sente suffisamment à l'aise) ou de lâcher-prise.
Quand j'ai quitté l'adolescence, ma capacité à penser de façon flexible et à comprendre ce que les autres pensaient m'a aidée à réaliser que si je n'apprenais pas à me maîtriser, je pouvais dire adieu à une insertion professionnelle. Personne ne tolère la colère au travail. Si vous vous mettez en pétard alors que vous êtes avec votre patron ou un collègue ou pendant une réunion, vous serez sans doute congédié. Il en va de même avec la police. Je suis passée de la colère aux larmes pour mieux contrôler mes émotions sur mon lieu de travail ; c'était pour moi la meilleure solution. J'ai beaucoup pleuré étant enfant et jeune adulte. Je m'isolais dans les toilettes des lieux de travail ou dans ma chambre car j'avais souvent beaucoup de mal à contenir ma colère et/ou mon anxiété. C'est plus facile pour les filles car les garçons éprouvent plus de difficultés à maîtriser leur colère, les larmes n'étant pas une solution envisageable pour eux. Dans le monde d'aujourd'hui, la colère est un vrai problème, et pas seulement en ce qui concerne les Aspies. La maîtrise de soi est l'une des qualités les plus recherchées sur le marché du travail. En outre, être capable de maîtriser sa colère dans les relations socio-affectives est tout aussi important ; il n'est agréable pour personne de craindre sans cesse un accès de colère de la part de quelqu'un.
La maîtrise de soi
Les adultes Aspies peuvent se montrer très inventifs quand il s'agit de trouver des solutions pour maîtriser leur colère. Nombreux sont ceux qui ont imaginé des façons très astucieuses d'atténuer leur colère avant qu'elle n'éclate. Certains choisissent de l'exprimer avec humour alors que d'autres, comme moi, apprennent diverses techniques d'adaptation.
C'est par le biais de l'approche cognitivo-comportementale, en étudiant le comportement humain, que je suis parvenue à surmonter mes crises de colère. J'ai ainsi appris à ne pas lui faire confiance. Autrement dit, j'ai compris que la colère n'est autre qu'un masque qui ne reflète pas vraiment la réalité. En travaillant très dur pour apprendre que la colère est une émotion trompeuse et non fonctionnelle, j'ai fini par comprendre qu'il valait mieux ne pas l'exprimer trop souvent et ne pas rejeter la responsabilité de ma colère sur les autres. Rien ne justifie la colère, pas même un mauvais comportement de la part des autres. Si je rencontre de vrais problèmes dans une relation ou par rapport à une situation particulière, je les traite séparément du processus de réparation. Cela m'évite ainsi de rentrer dans le cercle vicieux d'une excuse donnant lieu à un autre accès de colère. Une femme peut tout à fait fondre en larmes quand elle est en colère, mais pour ma part, je déteste pleurer en public donc c'est là quelque chose que j'évite de faire à moins que je ne puisse retenir mes larmes. De ce fait, j'ai mis au point des techniques de maîtrise de soi que j'utilise en prévention ou lorsque je me trouve confrontée à une situation susceptible de déclencher une colère. En voici quelques exemples :
1/ Mesures préventives
Tous ceux qui sont aux prises avec un problème de maîtrise de la colère auquel viennent s'ajouter dépression, anxiété et crises de panique doivent absolument envisager de prendre des antidépresseurs en respectant bien la posologie. Ceux qui m'ont été prescrits (Mirtazapine) ont en plus eu l'avantage de lutter efficacement contre des insomnies (je m'assoupis rapidement après les avoir pris).
Lorsque mon corps est mis à rude épreuve, j'ai davantage tendance à me mettre en colère. C'est en mangeant sainement, en évitant de me gaver de cochonneries et en m'hydratant régulièrement que je parviens à maintenir un certain équilibre et à contenir ma colère.
Si je suis en proie au stress, j'évite ou remets à plus tard toute confrontation, dans la mesure du possible. Si je reçois un e-mail de la part de quelqu'un qui m'agace alors que je suis en mal de sommeil, je le mets de côté et n'y réponds que le lendemain (si possible).
Je trouve aussi, qu'en ce qui me concerne, la pratique d'une activité physique régulière réduit considérablement les risques d'explosion, m'aide à mieux dormir et à garder mon calme.
J'évite de me retrouver dans des situations où l'on essaye délibérément de me mettre en colère. Je fuis, autant que faire se peut, tout conflit d'ordre affectif avec les autres. Si l'on me provoque, je m'en vais.
2/ Techniques face à une situation susceptible de déclencher ma colère
Il aura fallu du temps, mais j'ai fait des progrès non négligeables en matière de connaissance de soi. Grâce à cela, je suis capable, la plupart du temps, de sentir quand la colère est en train de monter. Quand cela se produit, je sors prendre l'air.
S'il m'est impossible de sortir, j'essaye de moins parler car plus je parle, plus il y a de chances que je dise quelque chose que je risque de regretter par la suite.
Je ne peux pas me promettre que je ne me mettrai pas en colère, c'est pourquoi je passe quelques accords avec moi-même. Je me dis que je n'exploserai pas au cours des deux prochaines minutes, suite à quoi je rajoute deux minutes et ainsi de suite. Il m'est plus facile de gérer de petites périodes de temps.
J'essaye de respirer profondément et lentement. Si je suis dans un contexte où il m'est possible de prendre une grande inspiration sans attirer l'attention, alors je le fais.
Le fait d'avoir, dans la poche, un objet « Doudou » que je peux toucher m'aide à garder mon calme.
Je diffère ma colère en l'exprimant uniquement lorsque je suis rentrée chez moi. Seul ce contexte me procure la sécurité et l'anonymat dont j'ai besoin pour libérer cette colère.
Après avoir eu affaire à quelqu'un qui m'a mise en colère, je mets sur papier tout ce qu'il faudrait que je fasse. A force de consigner mes pensées dans les moments de colère et de les relire une fois calmée, j'ai appris que quand je suis très fâchée, mes idées sont vraiment stupides. Tout cela m'aide à gérer ma colère étant donné qu'en tant qu'adulte, je ne peux plus me dire que ma colère est justifiée et bénéfique. De plus, personne ne change d'avis parce qu'on lui hurle dessus. Ce n'est pas en se disputant avec quelqu'un ou en lui criant après qu'on parvient à le faire changer d'avis. Cela ne marche jamais. Si l'on s'emporte contre un individu, non seulement il n'éprouvera aucun remords même s'il sait qu'il a tort, mais en plus, à ses yeux, on passera pour un.e idiot.e.
Si vous ne parvenez pas à contrôler votre colère, vous risquez de devenir votre propre ennemi. En agissant ainsi, vous vous abaissez au niveau de ceux que vous appréciez le moins. S'en prendre aux autres sous prétexte qu'on est furieux est tout aussi méchant et désagréable que les choses injustes que les autres nous ont fait subir.
L'autisme ne constitue qu'une part de notre personnalité
Les personnes autistes connaissent bien la colère. Elles ont toutes les raisons de devenir des adolescents furieux et de jeunes adultes bien plus furieux encore. Mettez-vous à leur place. Imaginez que vous soyez en proie à la moquerie, que personne ne vous comprenne, que vous soyez maltraité et que vous vous sentiez véritablement désorienté et dépassé par les évènements et pas seulement une fois ou deux mais des centaines, si ce n'est des milliers de fois. Rien d'étonnant à ce que nombre d'adultes autistes soient littéralement paralysés par leur colère.
Mais il est essentiel (ça l'est pour moi en tout cas) que les personnes autistes se souviennent que la colère n'est pas leur amie. J'ai déjà eu l'occasion de discuter avec plusieurs Aspies qui m'ont dit avoir le droit d'en vouloir au monde entier. Le problème selon moi est que s'accrocher à ce droit d'être en colère fait plus de mal que de bien et n'est pas vraiment utile pour soulager la souffrance. Contrairement à ce que certains pourraient croire, la règle non écrite des relations sociales selon laquelle la colère affecte plus la personne fâchée que celle contre laquelle on est fâché est on ne peut plus pertinente.
Je connais des personnes très douées qui sont Aspies et dont la vie d'adulte se résume à Internet. Occasionnellement, elles vont à la banque pour s'assurer que leur allocation leur a bien été versée. Leur vie pourrait être tellement plus exaltante. Cela me rend triste de voir à quel point elles sont fâchées contre elles-mêmes : elles en veulent à la terre entière et finissent par se couper du reste du monde. La condition autistique ne nous donne pas le droit d'adopter un comportement destructeur, aussi bien physiquement qu'émotionnellement ou de refuser de faire le « travail » que nous avons tous besoin de faire sur nous-mêmes. Il est vrai que l'autisme ne facilite pas les choses, mais cela ne devrait en aucun cas nous dispenser d'explorer nos sentiments les plus profonds et d'accepter que l'autisme fasse partie de notre vie. Mais l'autisme n'est pas forcément le seul responsable. Nous pouvons tous nous mettre en colère, mais il faut garder à l'esprit qu'il y a des conséquences. S'il faut que je devienne une pair-aidante spécialisée dans les troubles du spectre de l'autisme pour pouvoir affirmer cela, je ne connais pas de vocation plus noble.
Je pense que la responsabilisation est l'une des choses les plus importantes à enseigner. Peut-être que les conséquences ne sont pas les mêmes que pour un individu qui n'est pas porteur d'autisme, mais il y en a forcément quand le comportement que nous adoptons est inacceptable. Si quelqu'un estime, comme c'est d'ailleurs le cas pour la plupart des individus autistes avec lesquels j'ai pu discuter, que sa condition justifie son comportement alors le concept de conséquence et de politesse passe à la trappe. Bien sûr, je suis aussi d'avis que les services d'accompagnement sont essentiels pour aider les individus de notre communauté à maîtriser leur colère. On peut être en colère pour des raisons diverses et les manières de l'exprimer sont très variées. Ces manières peuvent être constructives comme elles peuvent être destructrices, ce qui est généralement le cas.
Nous pouvons mettre en place notre propre système de soutien. Je vois de plus en plus de groupes d'entraide se constituer. Ils sont plus efficaces que les groupes de discussion sur Internet où les gens ne sont pas vraiment proches les uns des autres. Il est beaucoup plus difficile d'invoquer l'autisme en guise système de soutien, d'excuse pour justifier ses colères devant un groupe de personnes qui peuvent toutes dire la même chose !
En guise de conclusion
Sur le plan personnel, il arrive encore que ma colère me vaille quelques ennuis. Malgré tout le travail que j'ai fait sur moi dans ce domaine, j'ai encore besoin de rester « attentive » à cet état et de parvenir à y faire face. J'ai beaucoup réfléchi à tout ce qui me mettait en colère. Dans quelle mesure était-elle due à des évènements anciens sur lesquels je ne pouvais plus agir et que je devrais par conséquent oublier ou accepter. Jusqu'à quel point était-elle le résultat d'objectifs ou d'attentes peu réalistes que j'avais par rapport aux autres ?
La maîtrise de soi est un sujet extrêmement personnel pour les personnes autistes. Il existe de très bonnes ressources, mais il incombe à chacun de nous de faire le premier pas consistant à admettre qu'il y a un problème. Nous devons reconnaitre notre colère, la comprendre et la maîtriser de sorte qu'elle ne prenne pas le dessus.
Et plus que tout, il est essentiel que nous assumions la responsabilité de la colère qui nous envahit et de ses conséquences sur notre entourage. Pour la grande majorité des adultes et adolescents autistes, il s'agit de l'un des problèmes les plus importants (comme les troubles sensoriels ou la gestion de l'anxiété). Ils peuvent et doivent absolument tenter d'en venir à bout s'il est dans leur intention de donner le meilleur d'eux-mêmes.
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