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La pair-émulation entre des personnes autistes

Dernière mise à jour : 26 oct. 2023


La notion de pair-émulation est plurielle, elle a une connotation de soutien psychologique, émotionnel, affectif, relationnel, social.


La pair-émulation, c'est quoi ?

C’est un fait, un nombre de plus en plus important d’êtres humains aura à vivre avec des restrictions de capacités, que celles-ci soient dues à l’avancée en âge, ou aux progrès médicaux et technologiques qui permettent de vivre après un accident vasculaire, un coma profond ou une naissance prématurée. Or, rien ne les y prépare, ni l’éducation qui leur est donnée, ni les accompagnements qui leur sont proposés pas plus que les valeurs idéalisées par les sociétés au sein desquelles ils vivent. La pair-émulation est une activité d’accompagnement qui se propose de répondre à cet enjeu en soutenant l’intervention de personnes handicapées autonomes auprès de leurs pairs en demande de davantage d’autonomie, et est par conséquent une fonction sociale d’avenir qui participe à l’organisation de la réponse sociétale à ce problème public.


La pair-émulation, l'effet miroir

Quand on a un fonctionnement différent de la majorité, le fait est que l’on est souvent seul à devoir trouver ses propres solutions, face à des situations problématiques qui ne le sont pas pour les autres. Il est bien entendu essentiel que toute personne fasse ses propres expériences et trouve ses propres solutions face à des problèmes rencontrés, mais pour les personnes ayant un handicap, les épreuves à surmonter sont très nombreuses - parfois trop pour arriver à le faire seul. Une personne autiste a du mal à comprendre les interactions sociales. Elle peut aussi développer des difficultés de communication la mettant à l’écart des autres. Parfois très lucide de ses lacunes, son estime personnelle peut s’en trouver grandement affectée.


Je pense que le rôle du pair-émulateur a là toute son importance : en se basant sur sa propre expérience, il peut permettre à la personne plus jeune de décoder les situations vécues et de mieux savoir y réagir lorsque celles-ci se représentent. Mais surtout, il sert de guide et de « miroir », car il est difficile de se construire lorsqu’il n’y a pas d’effet miroir avec les autres. Quand on est différent, la résonance fait défaut, il est plus compliqué d’être sur la même longueur d’ondes et en phase avec les autres, et la structuration d’une identité personnelle est plus ardue. Si le pair-émulateur peut servir de « miroir » et éviter à son binôme dévalorisation et écueils du quotidien, il est nécessaire de veiller à ce que la relation ne devienne pas exclusive. Il est important que soient mis en place des accompagnements complémentaires, et que le jeune autiste puisse côtoyer d’autres personnes de son âge ayant à faire face aux mêmes problématiques.


Plus jeune, j'aurais beaucoup apprécié le fait d’avoir un pair-émulateur qui m’explique la vie, qui puisse m’aider à décoder mes propres perceptions du monde, des relations sociales et amoureuses. Cela m’aurait évité bien des déboires. J’ai appris de mes erreurs, de mes maladresses, de ma naïveté, et par réajustements progressifs de comportements et actions plus appropriées. Ce vécu difficile a cependant semé en moi la graine de la motivation à aider les jeunes générations d'Aspies, qui se retrouvent face à des problématiques similaires.


La pair-émulation peut concerner tous les sujets : la vie quotidienne, la vie personnelle, la vie sociale, le travail, le logement, les déplacements, l’accessibilité. Si une démarche de pair-aidance peut s’installer dans la durée, la relation aidant/aidé peut être ponctuelle et limitée dans le temps. Lorsque la pair-aidance est pratiquée entre personnes accompagnées dans une même structure, les rôles peuvent s’inverser et un aidant peut devenir un aidé pour un besoin différent.


La pair-émulation peut ainsi devenir une fonction sociale pour le pair-émulateur, et favoriser la résilience et la confiance du pair-émulé, et en retour celles du pair-émulateur. La pair-émulation est un des mécanismes à l’oeuvre au sein des groupes de paroles que j’anime ou co-anime avec des autistes Aspies. Selon les moments, l’un ou l’autre des participants conseille, suggère, soutient, rassure un autre participant, ou parfois l’interpelle, humoristiquement. Ce mécanisme est particulièrement évident quand, au sein d’un groupe déjà « ancien » (qui fonctionne depuis plusieurs mois), une nouvelle personne arrive. Elle est intégrée avec une certaine empathie et bienveillance par ses pairs, qui ont déjà traversé et surmonté certaines inquiétudes de la nouveauté, certaines inhibitions et réticences de s’exposer à un groupe. Les anciens accompagnent les premiers pas du nouveau dans le groupe.

L'ouverture et l’acceptation de l’autre, sans jugement

A travers cette pratique, c’est l’importance du savoir d’expérience qui est mise en avant, qui remet en question l’unique recours aux savoirs des « spécialistes du soin ». Certes, il ne s’agit pas de rejeter l’expertise des spécialistes, mais il s’agit seulement de tenir compte de leurs limites quant au vécu de la personne autiste. Un intervenant hors professionnels du corps médical apporte une vision différente, une approche plus spontanée, ou la relation de confiance est plus facile. L’humanitéest un aspect du soin souvent oublié ! Beaucoup d'autistes sans déficience intellectuelle (TSA-SDI) sont hypersensibles et sont de véritables écorchés vifs, ils ont besoin d'un confident qui ne les jugera pas, ne consignera pas sur un carnet leurs propos et mieux encore que la personne les comprenne et puisse avoir vécu la même chose.


La réponse est d’avoir recours à un autre autiste plus âgé qui a atteint une maturité et qui a pu lui-même franchir ces étapes. Un pair-aidant plus expérimenté mais pleinement dans les mêmes problématiques, qui pourra donner des astuces, des outils, pour évoluer vers l’autonomie.


Jusqu'à mes 48 ans, je ne pensais pas que j'étais une « personne handicapée » : différente, voire asociale, mais pas handicapée. La découverte de l'autisme de haut niveau m'a conduite à relire ma vie par le prisme des compensations que j'avais mis en place pour lutter contre un handicap dont j'ignorais tout. C'est cette expérience que je souhaite mettre à profit des personnes Aspies pour les aider à retrouver l'estime d'elles-mêmes. C'est possible à force de détermination et d'espoir. La méthode basée sur mon expérience personnelle n'est pas une méthode miracle. C'est une somme de trucs et astuces que j'utilise et expérimente encore au quotidien. Chacun est libre de s'en saisir et de la faire sienne selon ses particularités et ses besoins.

Pour autant, je souhaite attirer l’attention sur les risques liés à cette approche "pair-aidante" si elle devient « exclusive », ce qui n’est pas encore le cas. Le risque c’est qu’en provoquant des rencontres entre personnes avec le même handicap, ou bien en créant des groupes dans les réseaux sociaux uniquement réservés à des autistes, on contribue à créer des « communautés » à part, qui se confortent dans leurs différences et qui contribuent à faire vivre à part ces personnes avec des semblables ce qui me apparaît comme totalement contraire à l’inclusion sociale que l’on a tant de difficulté à faire progresser aujourd’hui en France. Il ne faut pas oublier pour autant la personne lambda, si possible du même âge, quand elle est motivée pour accompagner le pair avec handicap. C’est une belle préparation pour l’inclusion sociale. Dans un tel échange, la personne autiste n’est pas la seule à tirer profit de cette expérience, mais aussi l’autre personne qui, en l’accompagnant, découvre la diversité humaine.


En conclusion

Il n’y a pas une façon d’être pair-aidant ou pair-émulateur, il y en a autant qu’il y a d’individus. Un des rôles du pair-aidant est d’établir un lien avec la personne en situation de difficulté ou de souffrance. Car la personne accompagnée est une personne pas un handicap. Ce rôle consiste en grande partie à découvrir le don de celle-ci, à l’aider ou à faire émerger en elle la ressource dont elle dispose et qui est peut-être restée jusqu’à présent insoupçonnée ou non utilisée. Ainsi le bout de chemin qu’ils feront ensemble à la découverte des points forts de la personne pourra constituer, pour elle, un tremplin.


La pair-émulation par et pour des personnes autistes offre des possibilités fortes intéressantes pour mieux soutenir les personnes autistes qui présentent des besoins psychosociaux, favoriser l'autodétermination d'une communauté et contribuer à tisser des liens d'entraide fondés sur la reconnaissance et le potentiel des personnes, aidantes comme aidées. Dans quel cadre la pair-émulation peut-elle avoir lieu ? Voici 3 exemples non limitatifs :

  • Dans un Café rencontre, on en trouve maintenant de plus en plus ; un bémol tout de même quand il est à l'initiative d'un professionnel, car cela peut brouiller les relations. Le professionnel doit se comporter différemment que dans sa structure ou cabinet, il doit savoir aussi se mettre légèrement en retrait, tout en guidant les conversations, en intervenant si besoin, et ne pas perdre de vue que ce sont les acteurs autistes présents qui dirigent les relations.

Notre collectif d'adultes autistes, auto-représentés, organise une fois par mois sur Nantes un café rencontre.

  • Dans un groupe théâtre/habiletés sociales, là il doit y avoir un professeur de théâtre, et un professionnel de santé spécialisé qui doit, comme dans le café rencontre, savoir se mettre en retrait et aider le professeur de théâtre à assimiler les différences d'approches par rapport à des élèves neurotypiques. Un tel atelier favorise le travail en équipe entre autistes, mais aussi en synergie avec le ou les professionnels, cela apporte des outils pratiques pour le quotidien (maîtrise du langage, des expressions faciales, etc.). Des personnes autistes autonomes, dans le rôle de pair-émulateurs, servent d’exemples, orientent et guident les plus jeunes.

  • Lors d’une sortie à thème, le grand frère ou la grande sœur (émulateurs), en ayant conscience de leur responsabilité, peut jouer le rôle d’animateur, mettre le plus jeune en avant et contribuer au développement de son estime personnelle. Là aussi une psychologue ou un professionnel en lien avec le thème de la sortie peut être présent pour cadrer la dynamique relationnelle, ou la pair-émulation peut se faire sans sa présence de façon moins formelle, si le pair-émulateur est suffisamment mature.


Et vous ?

Avez-vous déjà participé à un groupe de pair-émulation ?

Que pensez-vous de la pair-émulation (ou pair-aidance) ?

La pair-émulation en autisme est-elle une pratique avec des spécificités ?

Selon vous, est-ce qu'elle aide à lever l'auto-stigmatisation et à défendre nos droits ?


En savoir +

Participez au webinaire "La pair-aidance sous toutes ses formes, un sujet qui concerne aussi les personnes autistes", prévu le jeudi 28 septembre 2023 de 12h00 à 13h00 (gratuit, inscription obligatoire) https://formation-craif.org/webinaires/


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