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Un accompagnement atypique (1)

Dernière mise à jour : 3 mai 2022


Dans une société où la valeur d’un individu se mesure encore amplement à l’aune du travail qu’il produit, rester en marge du monde professionnel relève souvent d’un choix fait par défaut. Ni victime ni dupe : je sais le jeu qu’il faut jouer pour être considérée comme normale, valide. Mais est-ce que le fait d'avoir un emploi vaut-il la peine de mettre sa santé en péril ? A un moment de sa vie, non seulement, il faut appuyer sur le bouton PAUSE pour arrêter de souffrir et de subir, mais aussi se reconnecter à soi et à ses valeurs.


Une forme de maltraitance sociétale et sociale

Personne ne décide d’être étiquetée handicapée, mais le besoin de reconnaissance par le monde du travail l’impose parfois. Cela passe souvent, conventionnellement, par une demande de RQTH (Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé). Je n’aurais jamais imaginé faire cette demande un jour, me sentant différente mais pas handicapée. Mais au point d'épuisement où j’en étais, tout appui était bon à prendre. Pour certaines personnes, l’obtention dudit papier permet, fort heureusement, de bénéficier d’un allègement et/ou d’un aménagement des conditions de travail dans l’emploi qu’elles occupent déjà. Mais pour moi, cela a été l'inverse lorsque j'ai présenté cette RQTH et mes doléances à mon employeur. Sa réaction ? Supprimer mon poste de titulaire pour le transférer à une contractuelle que j'avais en partie formée. Alors se sentir dépossédée, malgré un fort investissement dans le travail et les sur-adaptations sensorielles et cognitives supportées, peut parfois induire des comportements de défense, de colère puis de rupture. En tant que femme autiste fonctionnaire -des qualificatifs auxquels je suis assignée-, un caméléon ayant réussi la plupart des épreuves socialement imposées au cours d’une vie de survie, on a estimé que je m’en sortais bien grâce à la sécurité de l'emploi accordée par le statut de fonctionnaire (le prix payé n’a en revanche jamais été évalué). Autiste ou pas, nul ne peut savoir à ma place ce que je traverse. Mais c'est sur le plan psychologique que c'est le plus dur. Avec les préjugés tenaces sur les handicaps invisibles, le monde a tendance à penser que ce qui ne se voit pas n'existe pas. Je me suis alors renfermée sur moi-même pour au final (re)tomber dans une profonde dépression.

Nous ne vivons pas dans le monde que nous méritons. C'est-à-dire, nous ne vivons pas dans un monde où chaque personne est appréciée et estimée, non pas pour ce qu’elle semble être, mais pour ce qu’elle est réellement. Nous méritons un monde ou nos vécus et nos identités ne sont pas médicalisées, marchandisées et pathologisées, mais où chaque personne est encouragée et soutenue dans sa résilience et son développement. Nous méritons tous et toutes les ressources, le soutien, la formation et l'éducation nécessaires pour s’aimer et se protéger individuellement et collectivement.

Des préjugés tenaces et des spécialistes peu nombreux

Mon propos présenté ici est tenu en totale conscience de la position de privilégiée que j’occupe malgré tout : je n'ai pas de déficience intellectuelle ; et cela rend invisibles mes difficultés, tout en me permettant de décrypter certains rouages. J'ai été mal diagnostiquée par une psychologue du CRA local : vous ne pouvez pas être autiste car vous savez échanger, suivi d'un blabla de psychiatre, pour statuer sur une psychose infantile. Cela n'a fait qu'accentuer mon mal-être, sans pouvoir aller plus loin dans le pré-diagnostic de TSA -malgré une demande d'être diagnostiquée par un autre psy du CRA. Mais surtout, c'était à moi de faire la démarche pour être suivi dans un CMP. Lorsque l'on sait les dégâts que peut faire l'approche psychanalytique des psychologues de CMP, cela n'aide pas à obtenir un bon diagnostic et encore moins un accompagnement adéquat. La psychanalyse contribue parfois à enfoncer les personnes autistes plus qu'elle ne les aide.


C'est donc en errance de diagnostic et en manque de soutien médical, d'accompagnement par ceux qui sont censés nous aider, que j'ai d'abord passé les 3 premières années en arrêt maladie avec des problèmes cognitifs, sans que personne ne le réalise. D'autant que je vis seule, que ma famille se soucis peu de moi et que je n'ai pas d'ami vers qui me tourner. J'ai réduit mes besoins au strict nécessaire car je n'ai plus de salaire mais une indemnité ; ma demande de Congé longue maladie n'a pas abouti. Comment font les personnes qui ont besoin d’assistance, qui sont dans l’incapacité mentale ou physique de décrire leurs difficultés de la manière dont on leur demande de le signifier dans les dossiers ? J'ai arrêté de voir un psychiatre dont je ne pouvais plus faire l'avance d'honoraires. Depuis, une aide financière a permis de débloquer cette situation paradoxale. Mais il faut attendre un an de précarité financière pour faire une demande de CSS (ex. CMU) ; et 5 semaines supplémentaires pour l'obtenir. Ce qui est long lorsqu'on est malade. C'est donc dans l'attente d'obtenir ces droits sociaux que j'ai commencé à me faire accompagner par un pair-aidant en santé mentale.

L'accompagnement par un pair-aidant

J'ai débuté mon rétablissement avec l'aide d'un pair-aidant en santé mentale car mon souhait est de sortir de la dépression avant toute autre prise en charge. Je pense qu'il faut déjà avoir une certaine lucidité d'esprit et une bonne connaissance de son handicap pour envisager des projets d'avenir. Dans notre département, à ma connaissance, il n'existe pas ce profil d'accompagnant dans le TSA. Ce qui est bien dommage. Ci-après, je vous fais une synthèse des rendez-vous quasi-mensuels qui ont eu lieu entre novembre 2020 et début mars 2021 :


Lors de la 1ère séance afin de me rétablir pour sortir de la dépression, une discussion sans tabou ni jugement avec ce pair-aidant, un membre de l'association PAGO. Durant deux heures, je lui présente mon parcours de vie, mes limites et mes forces. Dès le début de cet accompagnement, j'exprime ma principale attente afin que l'accompagnement soit le plus efficace possible : (re)mobiliser mes ressources intérieures afin de dépasser mes difficultés/limites et réussir à construire et réaliser un projet de vie. Pour ce faire, l'accompagnant me propose de réaliser un tableau synthétique en y inscrivant la liste de mes envies en les plaçant dans les champs Clinique/Psychosocial/Personnel, le tout en lien avec le rétablissement fonctionnel (capacités/limites). Puis pour la prochaine séance, l'accompagnant demande de sélectionner dans ce tableau trois envies qui me semblent prioritaires ou pour lesquelles j'attache une réelle importance.

La 2ème séance est plus courte et virtuelle, mais tout aussi intense. Nous commençons par faire chacun un retour d'expérience de la 1ère séance. Puis, à partir du tableau « Clinique/Psychosocial/Personnel », nous décidons de commencer le rétablissement par le champ clinique étant donné que mon corps est en souffrance depuis plusieurs mois. Avec une enfance difficile (trop différente pour être comprise par mes proches), je me suis construite dans de fausses croyances qui m'ont amenée à être dans le déni de mes émotions avec une opposition entre le corps et l'esprit, l'émotion et la raison. Si bien que j'ai peu confiance en mon corps et ne l'écoute pas assez. Mes émotions ont été vécues comme une menace qui appelait la colère et à être souvent en lutte contre les autres ou envers moi-même. L'injonction du « socialement correct » nous pousse à inhiber nos émotions. Avec le pair-aidant, nous fixons donc l'attention sur les émotions, moteurs des besoins et envies, et ainsi mettre mes émotions dans un nouveau processus de développement, de motivation, de décision, de créativité.D'ennemies, elles sont censées devenir des ressources et des alliées. Ainsi, les ressentir, les éprouver, les exprimer autrement que négativement, les réguler développent la conscience que nous avons de nous-mêmes, permet de mieux gérer nos affects, au lieu de les subir.

La 3ème séance commence avec une certaine appréhension car l'accompagnant ne semble pas s'être suffisamment informé sur les troubles autistiques. Explications. Après un retour sur la séance précédente, où les liens social et affectif ont été abordés, l'accompagnant me signale que non seulement je dois apprendre à ne pas négliger ma colère pour mieux décoder les facteurs déclencheurs et apprendre à la réguler, mais aussi à être mieux en lien avec les gens pour l'atténuer. N'étant pas lui-même autiste (les pair-aidants autistes restent rares en France), je lui rappelle que non seulement la gestion ou le décodage des émotions est un écueil chez moi (comme pour la plupart des personnes autistes) et l'informe que la communication avec les personnes neurotypiques reste un obstacle dû à un mode de pensée différente ainsi qu'à notre manière de communiquer sans-filtre. Le pair-aidant semble faire l'amalgame entre empathie émotionnelle et empathie cognitive qui me fait défaut. Nous poursuivons donc notre travail sur les émotions et en premier lieu savoir les reconnaître. La méditation en pleine conscience (que j'ai déjà pratiqué) et l'ancrage permettent non seulement de les accueillir mais doivent aussi permettre de les nommer. Pour cela, nous décidons de créer un journal des émotions. Ayant du mal à nommer mes émotions, pour le faire, le pair-aidant propose de m'aider de la Roue des émotions de Plutchik.


La 4ème séance est pleine d'optimisme avec le bilan des actions et outils mis en place depuis 1 mois et demi qui commencent donner de bons résultats : travail d'éveil corporel en début de journée pour libérer l'énergie vitale enfouie sous les couches de tensions musculaires et émotionnelles, ancrage dans des moments de calme pour évacuer les émotions négatives, début de tenu du journal des émotions lorsque celles-ci sont persistantes comme la colère. J'insiste auprès du pair-aidant sur le fait qu'une personne autiste n’a aucun contrôle sur ses effondrements (crises autistiques) et qu'elle ne réagit pas positivement aux mesures pour réduire les accès de colère prises habituellement chez les neurotypiques. L'accompagnant note, depuis 4 mois, une nette évolution positive centrée principalement sur les émotions et les limites, la réappropriation d'activités artistiques et physiques. Néanmoins, les contacts sociaux manquent. Il remarque que je m'inscris petit à petit dans une introspection d'un rétablissement psychosocial tout en restant à l'écoute de moi et de mes limites (participations à des webinaires et réalisations de comptes-rendus, meilleurs échanges sur les réseaux sociaux). Oui, mais cela reste des contacts virtuels (IRL). Nous décidons donc que le prochain rendez-vous sera en présentiel dans un cadre bucolique, loin des stimuli de la ville.


Suite à une proposition de faire partie d'un groupe de personnes autistes, sans déficience intellectuelle, au premier ETP (Education Thérapeutique du Patient) dans le TSA en Loire-Atlantique, je décide de mettre cet accompagnement en suspens. Non seulement ce nouvel accompagnement est dédié au TSA , mais il est aussi pris en charge par la Sécurité sociale. Ce qui n'est pas le cas de l'accompagnement réalisé par le pair-aidant.


Pour favoriser la lecture, cet article (plus long que d'habitude) est scindé en deux parties, dont celle-ci faisant état du retour d'expérience avec un pair-aidant. En cette fin août, je rencontre l'équipe soignante du CRESERC, un service du CHU de Nantes, lors d'un débriefing individuel. Donc, je ne peux pas dire que cet ETP est réellement terminé. Le 21 septembre, vous trouverez la suite de l'article relatant cet accompagnement spécifique au TSA via l'ETP organisé par le CRESERC.


Pour rappel, au mois de septembre, me servant des échanges avec le pair-aidant en santé mentale, nous commencerons par nous autoriser à ressentir nos émotions telles qu'elles sont, même si celles-ci ne sont pas "socialement correctes", puis début octobre lorsque nous sommes dans le spectre de l'autisme.

D'ici là, continuons à partager nos expériences et nos savoir-faire pour augmenter notre pouvoir d'action !


Et vous ?

Avez-vous bénéficié d'un accompagnement par un pair-aidant ? Qu'est-ce que cela vous a apporté ?

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